TOUT ÇA POUR ÇA

« Mouais », a lâché une spectatrice, à l’issue de la première représentation de « Tout ça, tu le sais depuis toujours… », la dernière création du tandem Kichenin/Salem, coproduite par le CDNOI. Une interjection qui résume parfaitement l’avis de Bongou sur ce concert poétique fourre-tout dont on ne sort pas foufous. On t’explique tout. 

ZERBINETTE : La représentation se présente comme une émission de téléréalité. Nous participons donc à l’enregistrement réunissant deux amies, une chanteuse et une écrivaine, accompagnées par une DJ américaine. Dans cette mise en abyme, dont le cadre est l’auto-fiction, les archétypes au plateau se complètent. Kichenin, campe un personnage maladroit et touchant, oscillant entre fragilité et autodérision, auquel répond une Christine Salem abrupte, peu encline aux séductions du star system. L’alchimie du tandem est renforcée par la charismatique Dilo, et l’alternance des videos filmant tour à tour le public, les chants de Christine Salem et les lectures poétiques d’Isabelle Kichenin installe un rythme dynamique. Malheureusement la magie se rompt avec la présence de plus en plus lourde du personnage incarné par Manon Allouch, caricature naïve et rapidement exaspérante de la productrice. Ses logorrhées répétitives éteignent le dynamisme du trio : l’effet de surprise se meurt. Sans danser sur un pied, comment as-tu encaissé cette deuxième moitié…

MANZI: Ne mets pas la charrue avant mon avis de boeuf et laisse moi te livrer ma perception dès le début de la pièce. Déjà, je redoutais fort la confrontation entre mon hypra-acerbité, tendance scatophilie sauce Blanche Gardin et l’hyper sensibilité de la poésie d’Isabelle Kichenin. Au final, notre ex-confrère (nous avons tous les trois écrit pour L’Azenda) s’en sort bien pour cette première expérience de comédienne et cette mise en abyme narrative a évité un enchaînement de saynètes du même tenant émotionnel. Sauf que, comme tu le soulignes, ces interruptions de la réalisatrice “abîment” notre immersion dans l’intimité de ces deux femmes aux sensibilités éloignées. Si ces ruptures doivent être comprises comme une critique de la production artificielle d’émotion télévisuelle, elles deviennent vite redondantes car peu marrantes et de moins en moins pertinentes. C’est dommage car il y a des tableaux envoûtants avec Christine Salem au chant et des plans visuellement intéressants, notamment la projection de ce film en noir et blanc avec le cryptage progressif des visages des deux enfants pour illustrer ce texte sur l’inceste. Ces instants cinématographiques oniriques et oppressifs correspondent à l’univers que je m’étais imaginé en visionnant les deux teasers et les deux affiches raffinées de la pièce. J’aime bien m’enthousiasmer sur la forme mais quand elle dessert à ce point le fond, je dis non. Si le metteur en scène semble s’éclater à tout saboter en mélangeant fiction et réalité, quelle est ton interprétation de la pénultième scène avec le protagoniste au plateau qui anime cette fausse répétition pour délivrer sa note d’intention?

ZERBINETTE: Je vais te répondre franco : quand il arrive au plateau, tout tombe à l’eau. Cette troisième mise en abyme, pour nous dire qu’on assiste en fait à la répétition d’une pièce de théâtre qui évoque l’enregistrement d’une émission de téléréalité m’a achevée. C’est bien dommage parce que, comme tu l’as observé, le metteur en scène a réussi à diriger la poétesse et la chanteuse avec intelligence, et ces non-comédiennes avaient su nous charmer par leur authenticité. Kichenin et Salem formaient un duo surprenant, et la présence ironique de Dilo suffisait à instiller cette distance critique qui semble avoir été recherchée dans ce projet. Bref, tout avait si bien commencé…

MANZI: Le flegme désabusé de Christine Salem, la puissance des textes d’Isabelle Kichenin et le sex-appeal de Dilo: oui, tous les ingrédients étaient réunis pour lier ces fortes personnalités sans pour autant se disperser. Au final, on n’a pas vraiment compris comment les sentiers de ces deux femmes se sont croisés. Le mélimélo de Luc Rosello n’est pas un fiasco mais ce bavard remue-méninges final rappelle les scènes à rallonge de films policiers où le tueur en série qu’on croyait mort revient la fois de trop. J’aurais préféré une fin sur le running gag de Kichenin qui réclame sans cesse du Joe Dassin.