Samedi soir au K, c’était l’ouverture de saison du Séchoir et surtout l’occasion pour le groupe Saodaj de défendre son nouvel album, Laz. Comme je l’avais écrit, en juin, après leur showcase du Iomma, Saodaj c’est pas Zaz et leur mojo flirte désormais avec celui des Lo’Jo. Cette intuition demandait confirmation et ce concert fut une vraie révélation avec un public au diapason.
Il serait osé de dire que la crise du Covid a eu du bon pour cette formation mais le fait d’avoir rongé son frein et ses refrains pendant plusieurs mois a permis au groupe de peaufiner ses compositions et de proposer un concert fougueux et maîtrisé. Je suis convaincu que cette lente maturation est à l’origine de cette parfaite prestation. Ça change de tous ces concerts où l’on se dit qu’« il y a quelque chose » et que « ça peut devenir bien ». Le premier concert du Nu Saodaj est d’ores et déjà bien.
Si la base de maloya est toujours revendiquée, la tribu s’est étoffée et l’apport des nouveaux musiciens emporte leur musique vers des horizons moins étiquetés, plus raffinés en affirmant une vraie identité. C’est toujours un bonheur pour les yeux de voir les musiciens changer d’instruments – kayamb, bobr, loop, roulèr, doum, sati piker, triangle - à chaque nouveau morceau. Loin d’être anecdotiques, ces rotations évitent le sentiment de répétition surtout quand elles magnifient de riches compositions. La guitare électrique apporte une âme rock à ce registre de musiques du monde et densifie la transe. Ce backing band mouvant, tout de noir vêtu, en impose vraiment et l’équilibre scénique avec les deux artistes féminines est idyllique. Si la Clairvoyante Cellule de Communication du Séchoir a proposé de catégoriser Saodaj comme du « maloya mais pas que », je propose au CCC mon étiquetage plus radical « maloya mais plus que ».
La présence de la violoncelliste Mélanie Badal orientalise les embardées et le trip musical proposé par le couple Marie Lanfroy / Jonathan Itéma éclabousse généreusement de nouveaux horizons. Sur scène, le climax de ce bariolage s’est manifesté lors de ce défi dansé entre Marie et Mélanie façon bourrée du Moyen-Orient; preuve que la danse et la musique incarnent un espéranto naturel et universel. Ce moment de partage était clairement préparé mais on pouvait ressentir beaucoup de fragilité et de sincérité.
De même, il suffit de lire les commentaires enthousiastes sous leurs récentes vidéos pour comprendre que ce vocabulaire musical touche une audience de plus en plus panachée. Il faut aussi féliciter le public, hétéroclite comme jamais. On peut tirer un chapeau à l’engouement et la spontanéité des collégiens de la Chaloupe Saint Leu ayant profité d’une résidence en temps scolaire avec le groupe qui n’ont eu cesse de participer et s’époumoner. Écouter une chorale de jeunes en tee-shirt blanc aurait plutôt tendance à me faire saigner les tympans et perdre mes cheveux à la vitesse d’un Jugnot mais ce temps de communion était empli d’émotions. L’enchaînement des morceaux est méthodique avec des temps calmes qui n’accélèrent pas systématiquement au rythme des percussions et qui succèdent à des titres plus transcendantaux où les paroles restent riches et cathartiques. L’ensemble monte en puissance graduellement et la communion avec le public incarne ce renforcement.
Laz, comme son nom l’indique traite de transmission, de valeurs familiales et les discours pour introduire ces morceaux ne sont jamais démagogiques et moralisateurs. Le titre éponyme est aussi fédérateur en live que sur l’album, clôturant à merveille ce nouveau set. Un pont idéal pour l’apothéose finale avec leur précédent tube, Pokor Lèr, où la question de temporalité était déjà posée. L’âge de raison se caractérise par l’ouverture vers le monde extérieur, le développement d’une pensée rationnelle et l’épanouissement émotionnel : Saodaj incarne à merveille cette trilogie vitale et je leur souhaite une longue et heureuse tournée locale et internationale.
Prochain arrêt : Les Francofolies, samedi 1er octobre