Comme annoncé, cette édition du Leu Tempo Festival fut particulièrement réussie avec des scènes éclatées proposant des shows-évènements (Exit de la Compagnie Inextrémiste), des échappées hors du temps (Les siestes musicales, Lulu’s Paradise), des cabarets déroutants (Azul, Cabaret Crida/Lubat) et du cirque tonitruant (Insomnia, Extrémités). Comme le théâtre d’objets n’était pas présent, Bongou est allé chercher son salut dans l’autre fondement de cet événement : le théâtre de rue. Retour sur ce moment de grâce : Symphonie pour klaxons et essuie-glaces.
À tous ceux qui répètent inlassablement qu’au Tempo « tout ce qui est gratuit est pourri », il fallait venir voir cette symphonie car, sous ses airs de grand-messe, cette proposition est une invitation à la finesse. Finesse d’esprit dans la parodie, voilà peut-être la marque de fabrique de La Martingale Compagnie. Si c’est la curiosité qui conduit le public devant cette philharmonie de carrosseries, celui-ci doit se déplacer avec son second degré pour apprécier le texte décalé du (faux) journaliste, Jérôme Rouger. La réussite de cette création se mesure notamment à la fin de la représentation quand une tripotée de spectateurs vient questionner le journaliste-acteur sur les horaires de rediffusion de cette (fausse) émission de France Musique. La crédulité de certains montre combien l’écriture du comédien titille l’original sans tomber dans le pastiche un peu potache. La faconde ultra-référencée du présentateur de France Musique est gentiment tancée tandis que le spectacle dans sa globalité peut interroger sur les frontières de l’art musical.
Après son personnage de Bruno Delaroche feignant de rendre la pratique culturelle obligatoire, La Martingale propose un nouveau spectacle spirituel aussi questionnant que réjouissant. Comme à l’accoutumée, Jérôme Rouger insère dans son texte une cargaison de références sur le lieu où il se produit mêlant philosophie et raillerie. Autant vous dire que Saint-Leu en a pris pour son grade et que les embouteillages locaux ont servi de terreau à son propos. L’instrumentarium composé de neuf véhicules est parfaitement croqué par notre journaliste mêlant authentiques informations techniques et boutades sur les engins, sources d’émancipation et de pollution. Si l’absurde carbure sur le bitume, ce spectacle grand public se réclame aussi débonnaire que populaire.
Les trois mouvements musicaux proposés et tant espérés sont dirigés par Patrick Ingueneau, un chef d’orchestre tout droit sorti d’un cartoon de Tex Avery. Dès l’arrivée à vélo du maestro, le spectacle prend une dimension burlesque qui monte crescendo avec des trouvailles sonores, gestuelles et chorégraphiques. Dans la lignée des Monthy Python, on se surprend à rire d’un couinement d’essuie-glace, d’un son de klaxon enroué, de trousseaux de clefs qui carillonnent et d’une direction de concertistes hystérico-poétique.
D’une farce minimaliste et incongrue, La Martingale a peaufiné une magistrale performance de théâtre de rue, rendant ses lettres de noblesse à cette discipline des arts vivants. Souvent assimilé à un sous-genre ou intitulée de façon nébuleuse, ce théâtre de rue marque les esprits en investissant l’espace public et en le sublimant durablement dans l’esprit des gens. Malgré une jauge imposante, le public bénéficie d’un confort d’écoute et de visibilité pour profiter de textes drôles et affutés avec une prestation sonore et visuelle consensuelle. Quand j’arpenterai à nouveau ce trou qu’est La Ravine Saint-Leu, forcément je repenserai à eux.