Vendredi, Bongou a eu le privilège d’assister à la pièce de Logiqueimpertubabledufou de Zabou Breitman, peut-être notre dernière représentation d’une compagnie extérieure avant un bout de temps vu la propagation du variant. Ce qui ne varie pas c’est clairement le désaccord de ressentis entre Zerbi et Manzi. Si le public semblait emballé pour sa majorité, Bongou est plus mesuré. En guise de compte-rendu, voici ce saugrenu échange entre une éberluée et un hurluberlu.
MANZI : Pour une fois, c’est moi qui suis sorti bougon de cette représentation car je n’ai ressenti aucune émotion, si ce n’est quelques pouffements causés par de furtives expressions et de burlesques interprétations. À votre écoute coûte que coûte de Zabou Breitman fut l’une des meilleures pastilles satiriques du service public radiophonique et je suis plutôt friand de l’univers farfelu et engagé de cette immense artiste. Si elle a réussi à proposer une pièce sur la folie sans tomber dans le pathos ou dans la simple restitution documentaire, que va-t-on retenir de la démonstration? Que la normalité et la folie sont peut-être plus proches qu’on ne le croie ? Chère Zerbi, tu sais que si je vais au théâtre, c’est rarement pour me cultiver mais quand même : le propos n’est pas fou-fou, non?
ZERBINETTE: Justement l’ami Manzi, j’ai particulièrement apprécié la fausse légèreté de ces dialogues décousus, parce que le dépouillement d’une écriture théâtrale, qui crée cette illusion de vraisemblance, requiert une authentique maitrise. Reprocher à Breitman la facilité de sa prose me semble aussi pertinent que de s’écrier devant un Picasso que n’importe qui peut en faire autant. Ces haïkus sur la folie ordinaire en disent long sur notre rapport à l’altérité. Avec leurs phrases à la Queneau, ces 4 comédiens décortiquent les mécanismes de la peur, de l’incompréhension, du rejet, projetant le spectateur dans un kaléidoscope de points de vue. L’univers de l’hôpital est ainsi brossé en son entier, grâce à une scéno pleine de trouvailles, permettant aux quatre comédiens d’endosser plusieurs paletots. Je t’ai d’ailleurs vu jubiler en regardant les lapins sauter…
MANZI : Tu ne connaissais pas ma passion pour la cuniculture ? C’est vrai que j’ai commencé à entrer dans cette pièce quand l’absurde a pris le relais et que les situations burlesques lorgnaient vers le nouveau cirque avec de belles trouvailles de costumes et de mises en scène. Quand les points de vue des soignés et des soignants se sont vraiment entremêlés, j’ai apprécié me perdre dans cette narration décousue, dans ce théâtre non-verbal proche d’une performance dadaïste. C’est au niveau des dialogues un peu répétitifs que je n’ai pas été particulièrement transporté. J’ai lu que Zabou Breitman avait repris des textes authentiques de réunions de spécialistes de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne et de vrais dialogues de patients internés : c’est peut-être pertinent sociologiquement de les avoir laissés bruts mais ça ne donne pas toujours des causeries émouvantes ou drôles. De plus, je n’ai pas cru aux différents personnages car je n’ai pas été convaincu par l’interprétation des acteurs en début de représentation, même si je conçois tout à fait que ça ne doit pas être aisé de remonter sur scène après cette longue pause. Heureusement, le rythme s’accélérant, ils ont été beaucoup plus crédibles dans le comique physique et la multiplication des rôles est méritoire. Zerbi, toi qui côtoies pas mal d’improvisateurs et d’azimutés dans le milieu culturel, t’as forcément été emballée par leurs performances d’acteurs ?
ZERBINETTE : Oui, parce que j’ai apprécié le jeu de ces jeunes, plus acteurs de ciné que comédiens de théâtre. Des people next door plutôt que des monstres du plateau. Une fragilité dans la diction et le timbre qui me semblait adaptée au réalisme du sujet. Comme tu le soulignais en début de papier, Breitman ne cherche pas le pathos. Elle convoque donc des humains qui nous ressemblent et ouvre une fenêtre sur un quotidien qu’on connaît plus ou moins. Mais elle le sublime par des tableaux presque cinématographiques, proches de l’arrêt sur image, convoquant la poésie dans la folie. Les fleurs tombent du ciel comme des poignards, les pulls s’agrandissent autant que les pathologies, et les oreilles de lapin se courbent dans une commune impuissance. J’ajoute que j’ai savouré le rythme parfaitement maitrisé de cet enchaînement de saynètes qui t’a empêché de piquer du nez.
MANZI: Je ne sais pas si je défendrais « le timbre » des acteurs sachant qu’ils étaient sonorisés mais je reconnais que c’était du bon divertissement et le public en a eu pour son argent. Les effets visuels sont très réussis et l’influence cinématographique se ressent fortement. Si seulement certains metteurs en scène locaux pouvaient s’inspirer de cette inventivité pour servir leur exposé et captiver leur assemblée. D’ordinaire, je suis assez réceptif à ces artifices et je peux apprécier une représentation en dépit d’un propos nébuleux. À l’inverse de toi, ma chère Zerbinette, qui arrive à prendre du plaisir en perçant les intentions discursives et la pertinence du propos. Malgré une forme qui aurait dû me plaire, je n’ai que survolé au-dessus de ce nid de foufous, certainement extraordinaires sous un angle documentaire mais trop lissés pour cette forme de théâtre acclamée.
ZERBINETTE : Si tu te mets à taper sur la création locale, c’est le début de la schizophrénie. Le méchant, c’est moi. Ressaisis-toi.