PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE
Elle est phobique aquatique, il n’est plus jeune cadre dynamique. Elle a l’entrejambe en feu, il rêve d’une vie à deux. Elle vomit les clichés de la féminité, lui ceux de sa normalité. Elle, lui, eux, nous. Huit tableaux cinglants, drôles, grinçants, où des antihéros racontent les tragédies banales de leurs vies bancales. On y rêve d’étrangler le mari adultère, de colmater sa dépendance affective ou son vide existentiel, de sauter par la fenêtre, de vivre intensément. Ni putes ni soumises, ni mâles ni machos, les personnages nous touchent dans leurs efforts déployés pour conserver une improbable dignité.
En filigrane, l’écriture de Martinez dessine nos vies de porcs marchant vers l’abattoir. L’absurdité de nos illusions de liberté. De notre quête d’originalité. Ces huit tableaux mettent à pied nos vanités. Au delà de l’humour noir, Petites conspirations saisit avec acuité l’origine de nos vacuités. Il y a de l’atemporel et de l’universel dans cette pièce-là.
SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO
Charles Rios a pensé un décor remarquablement efficace pour dérouler ces huit intimités. Trois boites grises assemblées pivotent individuellement à angle droit, offrant des intérieurs gris, sobres, jamais tout à fait identiques selon les histoires. Sans être spectaculaire, le décor est plein de surprises. Une trappe dans le sol dévoile le bassin d’une piscine municipale, les murs deviennent des bascules où les personnages disparaissent pieds en l’air, comme des pantins happés par le destin. Les jeux de lumière imaginés par Valérie Becq délimitent des atmosphères suffisamment variées pour ne pas nous lasser.
ET CES COMÉDIENS, ILS ÉTAIENT BIEN ?
Alors là, chapeau bas. Filip Auchère vient du monde de la marionnette, Robin Frédéric dirige un théâtre, Sandrine Ebrard est musicienne. Certes ces artistes ont déjà frayé avec un plateau. Nonobstant, relever le défi de la comédie avec autant de brio et d’énergie restait un pari. « J’avais envie de travailler avec des comédiens en désir » confie Martinez à la sortie. Son génie est d’avoir saisi dans chacune de ces fortes personnalités la sensibilité à exploiter. Robin Frédéric m’a émue aux larmes dans ses rôles tragiques et décalés. Sans parler de sa tenue de baigneuse municipale qui restera dans les annales.
Filip Auchère poétique et juvénile m’a clouée par son intensité. L’hystérie glamour de Sandrine Ebrard a fait marrer toutes les travées. Delixia Perrine nous a offert des moments très Whoopi Goldberg dans ses charismatiques loghorées. Elle me marque surtout par sa capacité à allier dans son jeu impudeur et beauté.
CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER
L’alchimie entre le texte et les comédiens. Cette faculté de Martinez à raconter nos histoires, à épingler les petites vicissitudes de chacun. Beaucoup de punchlines qui font du bien. Et un énorme coup de coeur pour le tableau « La poésie prurigineuse », où Delixia Perrine en poétesse mycosée est plus décapante que tous les manifestes féministes de ces dernières années.
Reste que le rythme crescendo qui se pose au dernier tableau fait passer ces deux heures au grand galop.
T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI
Un coup de coeur. Cette création théâtrale remplit toutes ses promesses, tant sur le fond que sur la forme. Ni moralisatrice, ni pathétique, cette pièce polymorphe déploie des registres d’émotion variés. Avec une acidité qui fait saliver.
Zerbinette