Il est 18 h 45 et ils sont déjà accoudés au bord du plateau du Téat plein air. « Tant qu’on n’est pas devant la scène, on se sent pas bien, on stresse ». Ils sont arrivés à 14 heures. Ils étaient là hier, ils seront là demain. Trois soirs de suite, ils suivent la tournée réunionnaise de Vanessa Paradis. Ils ne sont pas d’ici. Eux, ce sont « Les paradisiens », comme ils se surnomment. Un groupe de 5 Chtis qui suivent les péripéties de leur blonde préférée, s’envolant en Espagne dans quelques jours. « C’est notre budget vacances annuel qui y passe. Ça fait 32 ans qu’on la suit. Elle nous porte. ». On est bien loin des fragrances de la jet set hollywoodienne que la star sème dans les imaginaires. Ils mangent un sandwich, contre la barrière. Parfois, l’’amour c’est terre à terre. Quand on leur demande s’ils ne se lassent pas, d’entendre plusieurs fois le même concert, la réponse saisit : « Ah non, c’est jamais la même chose. Des fois il y a des petites erreurs, elle oublie des paroles, tout de suite elle se reprend, elle parle. Nous on adore ces moments-là. » L’humanité de la star somme toute.
Il est 23 h 45 sur le parking du Téat plein air. Assises à l’arrière d’un pick up, un groupe de quinquas boit un dernier apéro sur le bitume. Radio à fond diffusant « Marylin et John », un tube d’un autre temps que la star a interprété ce soir. Un faux air de bal pour éviter la séparation brutale.
Me voilà en immersion dans le mystère Vanessa. Elle ne manque pas, pourtant, de détracteurs. Certains affirment qu’elle ne chante pas. D’autres décrient un physique qui ne s’inscrit pas dans la conformité botoxée des chanteuses à succès. D’autres reviennent sur la jeunesse dorée. Affirment qu’elle sait juste bien s’entourer. Je ne crois rien de tout cela. Ce que j’ai vu ce soir me confirme ce que je savais déjà.
D’abord une présence magnétique. L’artiste envoûte. Le regard sans doute. Le grain de sa voix bien sûr, qui avec le temps, a gagné en gravité, tout en suavité. Ensuite une bête de scène. Le serpent qui danse au bout d’un bâton, une mélusine, une fleur du mal ondulante et sensuelle. Belle.
Rien d’angélique dans cette Vanessa-là. Les éclairages la nimbent d’un feu d’où l’infernale renait sans cesse. Tantôt à la guitare acoustique pour une chanson d’amour intimiste, tantôt rock et déchaînée sur le plateau, elle enchaine les mutations. Entre en fusion. Entre ses standards revisités dont les inénarrables « Joe le taxi » ou « Tandem », et ses nouveautés, la ferveur du public a perduré.
Côté scéno, les projections vidéo m’ont rappelé celles d’un Chassol, capturant les images d’une nature frémissante de sons du vent et d’oiseaux. Bien loin du kitsch télévisé, l’esthétique visuelle était soignée. Je lui suis enfin infiniment reconnaissante de ne pas nous avoir gratifiés du sempiternel « Koman i lé la réunion », sésame opportuniste d’artistes de passage en quête de captatio benevolentiae sans sincérité. Elle a en revanche félicité Tine Poppy, qui a accompli le miracle que voici.
En première partie, notre reine de la ségathérapie, qui a appris qu’elle était en première de Vanessa il y a à peine un mois, a réussi en 3 blagues et 6 chansons à retourner toute l’assemblée. Standing ovation pour la chanteuse, qui a avoué sa sidération. La raison ? Poppy maitrise à fond les codes de l’autodérision. Elle exploite avec intelligence son statut de nobody propulsée dans la sphère Paradis. Livre avec candeur sa stupeur de fille de planteur d’ananas qui n’en revient pas d’être là. À ceci prés que son talent scénique, vocal et musical dément toute usurpation. Ce soir, Poppy nous a bluffés. Quelle fierté.
Zerbinette