PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE
MANZI : Cette pièce raconte le paradoxe de l’œuf et d’une île ou plutôt d’une île-œuf (La Réunion pour ceux qui n’auraient pas compris) à travers les questionnements et les témoignages d’habitants vivants ou revenants, d’esprits bienveillants ou de descendants abracadabrants.
ZERBINETTE : « L’oeuf est vide », « ni fait ni à faire » « La morue est dans le pré » : si les punchlines ont fusé à la sortie de Ravines, la dernière création de Lolita Monga, force est de constater que c’était justifié. Des Ravines raconte l’histoire d’une île imaginaire en forme d’œuf dont les personnages partent à la rencontre de leur histoire. En autobus. Imaginaire lui aussi. Ce pourrait donc être une utopie.
Si ce n’est que sur cette île, les personnages parlent, entre autres, le créole réunionnais, portent des noms explicitement liés à la topographie de l’île « Mare à poule d’eau, Bras Canot » ou à l’histoire réunionnaise : « La Buse le pirate », roulent dans un bus qui s’appelle Zéklèr, et mentionnent plusieurs fois le maronnage et l’esclavage. C’était une belle occasion de revisiter l’histoire de La Réunion. Mais comme les enjeux ne sont pas clairs, le Zékler nous perd.
Les personnages récitent leurs élucubrations. Ils tentent de nous faire rire par des procédés farcesques grossiers. Chacun raconte l’histoire de son prénom, c’est long. Efferalgan cause médicaments, Ravine pleure des rivières et Mare à poule d’eau en a plein le dos. On aimerait bien s’attacher, mais ils sont trop niais. De ce voyage au bout de l’ennui émerge finalement une morale. Trop banale pour qu’on s’emballe. L’île œuf a disparu, vive la solidarité. On est bien loin de l’épopée.
SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO
ZERBINETTE : Pour figurer le Zéklèr, une diagonale jaune est tracée sur plateau. La scéno rappelle les ateliers pour bacheliers tant les déplacements sur cette ligne imaginaire sont scolaires. On y perd spontanéité et du même coup crédibilité. Certes, les costumes sortent de l’ordinaire. Un scaphandrier vient égayer les robes en goni. Derrière le rideau frangé du fond, on assiste à de surréalistes ballets et on a hâte de s’emballer. Mais dès que la scéno nous surprend, la narration nous ramène au plancher des écoliers, où la même chorégraphie sclérosée, inlassablement, reprend. Et c’est lassant.
MANZI : C’est rudimentaire mais ça fait l’affaire. Less is more comme on dit. Une ligne jaune découpe l’espace scénique au sol, un rideau de fils dissimule en partie le fond de scène et un œuf éclairé trône sur un coquetier effilé.
ET CES COMÉDIENS, ILS ÉTAIENT BIEN ?
MANZI : Judith Profil (aka Kaloune) incarne une hôtesse d’accueil chez Car Jaune aussi charismatique en conteuse qu’en chanteuse. Lolita Monga est savoureuse dans son interprétation pantomimique de Myleica (sorte de Deneuve enfarinée), Fany Turpin archi crédible quand elle joue le personnage masculin de Problème, Florient Jousse impeccable dans son rôle pince-sans-rire d’Efferalgan et Florent Voisin est plus à l’aise en Juron pour blasphémer qu’en Kévin causant de solidarité.
ZERBINETTE : Les textes donnent l’impression d’être récités. Lorsqu’ils cessent de parler, les comédiens, figés, arrêtent de jouer. Cette pièce est un défilé d’acteurs que la vacuité du texte empêche de décoller. C’est souvent surjoué et stéréotypé.
CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER
MANZI : J’ai été interpellé par le surréalisme de ce discours des origines. On ne sait plus si l’on assiste à un acte poétique ou à une farce absurde. Ce flottement est aussi étonnant que revigorant. L’écriture de Lolita Monga est toujours aussi chatoyante, les expressions ou autres noms d’oiseaux en créole provoquent des éclats de rire (forcément avec une audience quasi lycéenne). J’ai été marqué par les univers variés piochant dans l’esthétique japonisante (les esprits Niang, le personnage très manga de la Dame du petit trou), l’ambiance Nouvelle Vague de La Sirène du Mississipi saupoudrée de kathakali et ce psychédélisme enfumé rappelle l’anticonformisme d’un certain Raoul Collectif, bien connu sur les planches du Grand Marché.
ZERBINETTE : L’incapacité de cette création à m’emmener dans une émotion. L’absence de point de vue. Je n’ai toujours pas compris ce que j’ai vu.
T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI
MANZI : Allez, on va dire que oui ! Je ne me suis pas emmerdé, mon créole littéraire et ordurier s’est perfectionné et je ne savais plus à quel saint me vouer, ce qui est bon signe pour un spectateur fièrement athée. Je reproche toutefois quelques tirades un peu étirées et des explications de texte trop appuyées. Clairement, j’aurais préféré baigner en toute volupté dans cette histoire farfelue de l’insularité en me délectant de triple axel dans l’opiumerie de Jules Hermann sans devoir prendre l’air dans le salon de Daniel Vaxelaire.
ZERBINETTE : Non. On peut s’emballer pour l’esprit foutraque à condition que le comique crée une dynamique. On peut apprécier l’esprit poétique si l’écriture et la scéno font le boulot. On peut défendre un point de vue historique, didactique ou pédagogique, à condition qu’il y ait franche prise de position. Rien de tout ça dans cet œuf-là. La mayonnaise ne prend pas.