CHRISTA À TOUT PRIX

Mardi, Manzi traînait à Lespas / Zamedi, Zerbi sortait au Grand Marché

Aujourd’hui, c’est Konseil de classe / Alors discutons de Vies de papier

MANZI : Je ne connaissais pas les précédents spectacles de la Compagnie Bande Passante et c’est fort dommage car leurs univers avaient tout pour me plaire. Cette proposition labellisée « théâtre d’objets documentaire » suscitait chez moi beaucoup d’attente et de mystère sauf que, selon moi, ce travail A4 mains ne mérite pas cette appellation malgré un modus operandi d’une rare précision. Il s’agirait plutôt d’une enquête filmée à partir d’un ravissant et intrigant album photo dégoté dans une brocante à Bruxelles. On pense forcément à l’inconnu du photomaton, quête obsessionnelle de l’écrivain Michel Folco, révélée par Jean-Pierre Jeunet dans Le fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Élémentaire ma chère Zerbi mais as-tu été clouée par les artifices pour retrouver l’énigmatique Christa, héroïne de cet album-photo?

ZERBINETTE : Eh bien oui, et j’en fus la première surprise étant une irréductible allergique au film que tu mentionnes. Certes, la vidéo occupe une place prépondérante dans ce spectacle théâtral et on pouvait s’en agacer. Mais la problématique engagée m’a passionnée. Que se passe-t-il lorsqu’on écrit l’histoire à rebours ? Lorsqu’on cherche à saisir comment l’intimité d’une famille allemande s’est accommodée de la montée du nazisme ? Lorsqu’on ne cède pas à la facilité de la condamnation, et qu’on se rappelle qu’avant d’être soldat d’Hilter, un homme était fils, époux, voisin ; se dessine, de photographies en collages, un chemin poétique emprunt de délicatesse et d’empathie. Cette reconstitution de la vie de Christa échappe au pathos, pour permettre une réflexion sur notre rapport aux scélérats de l’histoire. Plus encore, elle permet un retour à soi, et questionne notre généalogie et notre rapport au souvenir. Nul ne sortira de cette proposition sans s’interroger sur le devenir de ses propres albums, dans ce magma incertain qu’est le Cloud. Point d’artifices, mais des bribes de destinées amicalement partagées. Un appel au respect. Ça ne t’a pas touché, espèce de blasé ? 

MANZI: Sincèrement, oui et nan. J’adore ce genre de délire théâtral par lequel une petite histoire va se heurter à la Grande (la Seconde Guerre Mondiale) et le road-movie occasionné aurait dû carrément m’interpeller même si le rythme est plus proche d’un épisode de Derrick qu’une traversée des États-Unis aux côtés de Thelma et Louise. Si les lieux visités (salles d’archives de villes allemandes archi glamour) et le fondement de cette quête imposent un tempo posé, l’accompagnement visuel pourtant très chiadé repose sur la projection de photos découpées et sublimées. C’est délicieusement minutieux et pourtant à la longue un chouïa ennuyeux. Je ne sais pas si cette période post-confinement influence mon jugement mais je n’ai pas envie de sortir au théâtre pour visionner des écrans. Le théâtre d’objets se doit d’être intimiste et cette projection en deux dimensions nous éloigne des pointilleuses manipulations. Tu l’as compris, je suis un peu désolé de ne pas avoir été transporté - oui j’ose me dresser contre le raz-de-marée de critiques élogieuses et les TTT de Télérama sur ce spectacle - et je te demande quelle serait TA notation pour cette investigation au pays des teutons?

ZERBINETTE : Tout d’abord, je réfute les adjectifs « délicieux » et « ravissants » que tu utilises pour décrire l’esthétique de ce documentaire. On est plutôt embourbés sous les ciels plombés et la neige tassée, dans ce road moovie chez les mamies. L’album est kitch et les enquêteurs prennent le temps de nous perdre. Oui, leurs errances induisent la lenteur, à l’heure où Netflix assassine les narrations en précipitant l’action. Tant mieux. Lorsqu’il s’agit d’explorer son passé, il est nécessaire d’assimiler. Le spectacle ne livre qu’à la fin le sens profond de cette quête. Lorsqu’on arrête la course contre la montre on se rencontre. Allez. À défaut de noter, avoue que cette programmation a fait honneur au Grand marché.

MANZI: Délicieuse et ravissante compère, j’ai effectivement utilisé ces adjectifs pour qualifier la joliesse décalée du Scrapbooking de cet album-photo d’époque. In extenso, je trouve que l’esthétique générale est trop proprette, trop lisse comme ses deux écrans omniprésents même si cette minutie procédurale recèle des trouvailles, dont cet émouvant travelling final. Espérons que ce type d’enquête historico-théâtrale inspirera des artistes réunionnais car notre territoire regorge de trajectoires familiales au moins aussi palpitantes. La question de l’identification à cette problématique mémorielle est évidemment intéressante, autant que certains thèmes abordés dans des séries Netflix ou d’Arte aux rythmes très mesurés. Cessons les préjugés. Je ne m’attendais pas à un dénouement de type Sacrée Soirée - cher public, sous vos applaudissements, voici en chair et en os Christaaaaaaa - mais le virage narratif par lequel les enquêteurs-auteurs établissent des parallèles avec leurs histoires personnelles m’a fait mijoter sans vraiment me faire cogiter. En revanche, cette pièce m’a réellement donné envie de voir les anciennes ou futures propositions de cette compagnie donc Bongou compte sur vous, Lespas et le CDNOI !