Aujourd’hui, j’ai décidé d’asticoter mon Manzi. Il a encensé « Ça va » de l’humoriste suisse Thomas Wiesel, dont la tournée réunionnaise s’achève ce dimanche à la Cité du Volcan. Moi, pas. Comme toutes ses dates ont affiché complet, c’est sans scrupule que nous allons ferrailler, pour savoir si oui ou non il faut acclamer le larron.
ZERBINETTE : En préambule, je dirais que ma déception a commencé bien avant ce own man slow. Tu t’es fendu cher camarade de questions truculentes pour titiller l’ami Wiesel, lors d’une interview Bongou. De ton propre aveu, les réponses minimalistes de l’humoriste n’ont pas flambé par leur inventivité. Secundo, lorsque le stand up a commencé par un tour d’horizon sur ses impressions de touriste débarquant à La Réunion, je me suis dit : « Oh non ». J’ai prié pour ne pas avoir droit une énième fois aux big five du cliché réunionnais (Les requins, l’étymologie du mot zorey, la route du littoral, radio Freedom et le chikungunya). Mais l’alpiniste avait déjà franchi toutes ces portes ouvertes. Raté pour la découverte. Si on a, par miracle, échappé au Koman i lé, ne me dis pas que tu n’es pas fatigué par cette naïve captatio benevolentiae.
MANZI : Carrément la locution latine pour enrober la tartine. Tu y vois une recherche de bienveillance du public alors que c’est tout le contraire. S’exposer chaque soir, sans filet, à une nouvelle assemblée est une courageuse mise en danger alors qu’il pourrait dérouler son exposé bien ficelé. Koman i lé pour les concerts, c’est un vrai cache-misère mais reprocher à cet artiste d’avoir potassé son arrivée en préparant quelques vannes sur nos gros clichés, je trouve ça sévère car c’était très interactif et le traitement assez fin. Nous n’avons pas assisté à la même représentation et cette “discussion introductive avec le public” était franchement réussie à la Cité des Arts, très spontanée, bien rencardée malgré 2-3 blagues anticipées. Je t’encourage à regarder sur Youtube ces moments d’impro brillants qu’il partage au gré des scènes où il se produit. Oui, ce n’est pas le premier à flirter avec les lieux communs de la région visitée mais cela procure des moments uniques et hilarants, grâce à une sacrée répartie et à un auditoire enclin à l’autodérision. Toi qui es sensible à l’écriture, tu vas quand même devoir reconnaître l’acerbité de sa plume sans fioritures?
ZERBINETTE : Mais oui mon Manzi préféré, je la reconnais. Sa plume est caustique et concise. Finalement, le problème vient du fond, pas de la forme. Le quart d’heure pipi caca m’a ennuyée, ce ne fut guère mieux ensuite avec cette introspection amoureuse, suivie d’un tir à l’aveugle alternant blagues sur les juifs, sur les autistes ou les hommes politiques. Le côté pince sans rire m’a au mieux amusée, mais a rarement provoqué mon hilarité. Et j’en suis bien désolée. J’avoue enfin être sceptique sur le final. Qu’as-tu pensé de cette (im)posture consistant à dissuader le public de venir le rencontrer ?
MANZI: Que c’est sincère et que cette franchise sur son asociabilité provoque de vrais moments d’hilarité alors que faire rire sur ce sujet c’était pas gagné. Quant au fond, je ne rejoins pas ton opinion. Il aborde une multitudes d’autres thèmes et de questions, propres à sa génération: l’écologie, les gens qui ont des animaux, les Captcha et SON simili autisme. C’est du stand-up et les sujets sont assez légers, auto-centrés, comme annoncé dès le début de son show et dans l’interview de Bongou. Je sors de Reunion Comedy Fest (déçu en bien comme dirait l’ami lausannois) et 90% des blagues tournaient autour des relations homme/femme, de plans-cul, de piques communautaires et de moqueries faciles sur La Réunion. Thomas Wiesel se détache de la masse de ses comparses par son non-jeu réaliste, une écriture hyper éprouvée et un enchaînement de fulgurances archi linéaire, sans trop en faire. J’ai ri toutes les 20 secondes et me suis esclaffé toutes les 2 minutes. On est sur une très très haute cadence de LOL et la grande majorité du public semble avoir suivi ce tempo. Au final, ne penses-tu pas que c’est ce format de stand-up, sans dramaturgie ni performance d’acteur, qui ne te sied point?
ZERBINETTE : L’ancêtre que je suis te répondra par l’affirmative. Depuis Desproges et Coluche, dont le charisme était à l’apogée, il est rare que je sois subjuguée. Mais je reconnais qu’aligner les références poussiéreuses ne fait pas avancer l’ouverture d’esprit. Ton petit suisse est loin d’être mauvais, à l’image de cette soirée. Je recommande, avec modération.
MANZI : Thomas Wiesel revendique avec humilité Pierre Desproges comme un référence absolue. L’écriture de ce dernier n’a jamais été approchée alors que son charisme est plus aisé à égaler. Je pense que, par son flegme et son écriture ciselée, il peut s’inscrire dans cette lignée et, en gagnant en maturité, les saillies n’en seront que plus accomplies. Dans sa besace, il peut se targuer d’un sens de la répartie qui rend son humour encore plus vivace. Je recommande sans modération.