SORTIE DE ROUTE

Vingt mille millimètres sous la terre était un titre intriguant. Il convoquait, outre l’univers de Jules Verne et ses mystères, des espaces labyrinthiques qui appelaient à la profondeur. Mais cette nouvelle création de la compagnie Nektar, qui avait pour objet d’aborder la carte et le territoire, nous a laissés au bord de la route. Attention déroute.

Les pièces sur les migrants se sont multipliées ces dernières années mais rares sont celles qui ont abordé le sujet avec succès. Outre l’écueil du pathos, subsiste la difficulté, soulevée par Montaigne, de penser l’altérité avec sa subjectivité. Autre  complexité : comment  échapper à la naïve dichotomie : gentils migrants, méchants accueillants, lorsqu’on ne dispose que d’une heure pour déployer la petite histoire dans la grande. 

Des lieux désincarnés

Le pitch propose d’emblée d’écarter ces questions puisque les lieux sont désincarnés : tout commence dans un pays dont l’identité n’est pas établie. Difficile dès lors pour le spectateur de convoquer les deux univers, censés interagir dans nos imaginaires : celui de la petite entreprise de travaux publics, et celui du camp de migrants. Même à penser le monde hors d’une cartographie, restait encore l’espoir d’une géographie, dessinée par les mots, dans notre cerveau. L’espace vide aurait pu se peupler par la parole d’odeurs, de saveurs, des spécificités liées à ce lieu si particulier qu’est le camp de réfugiés. Bref, il s’agissait de pouvoir imaginer cet autre et cet ailleurs, quel qu’il soit. Or, on ne sait rien de ce camp de migrants, espace pourtant au centre de la narration.  L’histoire n’a pas démarré qu’elle passe déjà à côté de son sujet. 

Une intrigue en chantier

Une intrigue, pourtant, tente de s’installer, sous la forme d’un triptyque. Un chef de chantier, le stagiaire et la secrétaire. Le premier trempe dans des affaires louches, le second est un gars naïf qui découvre le monde de l’entreprise, la troisième une migrante, à qui le patron a fourni de faux papiers. Les pierres sont posées, mais le ciment ne prend pas, très vite, on s’ennuie avec cette histoire-là, pour les raisons que voilà : 

Les personnages ne nous portent pas, ne nous émeuvent pas. Ils se battent avec des costumes vides sans parvenir à illustrer leur combat. D’ailleurs, de combat, il n’y en a pas. Tout se résout par une laborieuse explication finale de la secrétaire, qui lève le voile sur un faux mystère. Morale de l’histoire, la direction a trempé dans des malversations, la secrétaire dans un possible adultère, et le stagiaire ne pourra plus s’envoyer en l’air. Quid de nos migrants dont le camp est éventré par une saignée, il semble bien que la narration les ait oubliés.

L’énigmatique scène labyrinthique

Que dire de la très énigmatique scène labyrinthique… Une femme séquestre un homme sous terre et lui demande de compter jusque 20 000. Pourquoi ? Qui sont-ils? Que veut-elle? Qu’a-t-il fait? Nul ne le sait. Cette scène dont on pressent qu’elle portait l’agôn nous laisse perplexes. D’aucuns diront qu’ils’agissait d’un espace de création laissé à l’imaginaire du spectateur. Il a surtout mis en lumière beaucoup d’obscurité dans le projet. Quand rien n’est clair, on s’y perd.  

Verbiage et décalages

Côté langue, le choix des registres soulève des incompréhensions. Dans la bouche du patron, des mots qui n’ont pas choisi leur camp, oscillent entre fausse vulgarité et banalités. Erudel en demi teinte, peine à trouver son entité. La migrante s’exprime dans un langage ampoulé en décalage total avec le rythme suggéré par l’action. Assise sur un rocher pour une conversation épistolaire avec sa mère, elle s’embarque en solitaire pour des envolées littéraires. Une migrante érudite m’aurait séduite. Mais comme la justification de ce phrasé n’est pas amenée dans la construction de ce personnage, il creuse le décalage. Le jeu de Thomas Billaudelle est touchant, mais son personnage guère intéressant. Les déplacements souvent symétriques, empêchent toute spontanéité. Jamais un moment de théâtre ne permet l’envolée.

La scène finale, où les comédiens s’avancent en ligne sur un morceau rock envoyé crescendo semble signaler une apothéose dont je n’ai pas compris la cause. J’ai beau relire que la parole et le territoire étaient au centre de ce chantier, je n’ai pas saisi ce qu’il s’y jouait. Si ce n’est de l’anecdotique à défaut de souffle politique.

Zerbinette