VIEILLIR AVEC LE SAKIFO

Sur les dix-neuf éditions du Sakifo, j’ai participé aux dix dernières et mes raides guiboles soutiennent encore ma carcasse sur trois soirées, auxquelles il faut ajouter les quatre du IOMMA. Sans me la péter vieux renard des fosses alignant les chiffres pour asseoir son savoir, je vous propose un modeste retour, évidemment subjectif et forcément étriqué. Se souvenir, sans ressasser, avec une vingtième édition à anticiper.

Après ces trois jours réjouissants, il y aura toujours ce pote absent de l’événement pour te demander : Alors ce Sakifo, bien ou bien ? Comme on n’a pas envie de s’éterniser, on isole une sensation ou une prestation pour se débarrasser de cette sempiternelle question. Pour cette année, mon retour sera concis : Metronomy. À l’annonce de leur venue, on est restés sur le cul suspectant le coup foireux, genre un copy-cat dionysien composé d’un énième bidouilleur de machines associé à un jeune toaster de raggamuffin. Pas du tout, il s’agissait bien du groupe pop le plus excitant du moment. Non pas que je sois fan absolu mais il faut avouer qu’a priori, c’était le beau coup de la programmation. Ce lundi, pour confirmer à mon cerveau embrumé que j’avais vécu un moment de grâce, je me suis replongé dans les éditions précédentes et peux désormais l’affirmer: Metronomy c’est bien mon meilleur concert de Salahin pour cette décennie festivalière. Show lumière, humilité, multitude de tubes revisités sans les faire durer, énergie rock, tenues vestimentaires comme seuls les britons savent faire, spleen folk, fourmillements électroniques, breaks virtuoses, bassiste charismatique et métronomique. Autant d’éléments qui font de cette prestation un voyage émotionnel parfaitement équilibré naviguant entre leur dernier album et une bonne partie de leur discographie depuis la sortie en 2011 de The English Riviera. Si l’on est forcément tous un peu amoureux de la batteuse Anna Prior, chaque musicien distille son univers, sa personnalité et un sérieux savoir-faire. Ah tiens, je serai le mercredi 20 juillet au Paléo et devinez qui joue ce soir-là… Bingo !

Si la vieillesse est un naufrage, elle peut engendrer un peu de rage surtout quand, avant l’arrivée des messies de Metronomy, ta soirée ressemble à un vagabondage. Il est où l’immense gradin de Salahin ? Totalement déserté en décembre (car uniquement réservé aux rares VIP), j’ai croisé un tas de gens errant dans le vent qui auraient rêvé de poser leur fessier sur ce géant d’acier. Ne comptez pas sur l’espace VIP pour délasser vos jambes car l’agencement est aussi spartiate et dénué de chaises. La sombre traversée derrière la grande scène, coincée entre des barrières métalliques austères, le sol souvent jonché de déchets, invite autant à la contemplation qu’une déambulation dans le Weldom de Bras-Panon.

© Manzi

Alors oui, le site de la Ravine Blanche au bord du lagon est canon, la lumière après le coucher de soleil vaut son pesant de selfies mais à quand un aménagement festif, lumineux, un peu plus accueillant du site ? Bien sûr que bénéficier d’un festival de cette trempe à La Réunion c’est une incroyable opportunité sauf qu’à l’aube de la vingtième édition, on a le droit d’être un peu plus exigeant même si je conçois que ces aménagements coûtent énormément d’argent. Quid de la garderie avec mini spectacles gratuits, des vidéos ludiques sur les écrans géants pour meubler le temps, des ballons géants pour faire chahuter les gens, … ? De mon point de vue de spectateur, ces rares artifices n’étaient pas superfétatoires et contribuaient à l’esprit festif. Je crois savoir qu’il y a une connexion entre la team Sakifo et celle du Paléo alors je leur recommande la lecture de leur a-propos où l’on y cause hospitalité, responsabilité sociale et politique environnementale. C’est sûr que Paléo ne boxe pas dans la même catégorie (450 000 spectateurs en 6 soirées) mais ce genre d’ambition dans l’accueil doit rester une belle source d’inspiration et d’évolution.

L’éternelle polémique sur la qualité graphique et esthétique de l’affiche est mineure si ce n’est qu’elle renvoie une image un peu fadasse et amateure de cette manifestation majeure. De même que refuser l’installation d’un stand de sensibilisation des risques et dommages au motif que cela favoriserait l’usage est un argument d’un autre temps, surtout quand on retrouve sur tous les autres festivals hexagonaux des dispositifs innovants où le matériel de prévention est mis à disposition gratuitement.

Toujours dans la rubrique « c’était mieux avant », je balance une petite pique à la presse quotidienne et sa couverture médiatique de l’événement. Il n’y a pas si longtemps, la lecture des comptes-rendus de chaque soirée du journal Le Quotidien était un rendez-vous matinal polémique fortement apprécié, beaucoup plus exigeant intellectuellement que cet empilement de photos et de légendes insignifiantes: Le Sakifo fait le bonheur des petits et des grands, Camélia Jordana a demandé un maximum de participation aux spectateurs, qui ont répondu présent, Tiken Jah Fakoly a demandé aux dirigeants d’ouvrir les frontières, à la grande joie du public, les verres réutilisables sont payants et remboursés quand ils sont rendus (sic)

Dernier coup de griffe avant les caresses artistiques : concert ou meeting politique de Davy Sicard ? Plusieurs spectateurs ont été fortement agacés par son simili sondage proclamé à Salahin sur le devenir de la statue du gouverneur Mahé de Labourdonnais. C’est pas Bongou qui va prolonger le débat sur ce qui relève de l’Histoire et ce qui relève de la mémoire mais Tiken Jah Sicard devrait continuer à gratouiller sa guitare plutôt que d’imposer son cours d’histoire.

MES TEMPS FORTS MUSICAUX

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MES TEMPS FORTS MUSICAUX 〰️

BCUC : C’était ma troisième fois, donc il n’y a plus la saveur de la découverte mais quel bonheur de débuter un Sakifo avec la transe soul de ce combo de Soweto.

Stogie T : Vendredi soir, les voisins sud-africains nous ont régalés et l’ancien de Tumi and The Volume a “embrasé La Poudrière”. Moi aussi, je veux légender des photos pour Le Quotidien. À une époque où la musique rap ou reggae propose trop souvent des live avec des formations réduites à un beat-maker, un leader vocal épaulé d’un ou deux backeurs (coucou Vlad et Bigga*Ranx), assister au concert de Stogie T avec son flow de tueur ET un vrai band fut un bonheur.

Maya Kamaty : C’est cool, je vais pouvoir copier-coller les mêmes éloges qu’en décembre : « Maya “Sovaz” Kamaty a tué le game. Elle a su se réinventer musicalement et esthétiquement. De M.I.A. à Maya, il y a cette même ambition d’élargir les acceptations, d’assumer nos singularités en mettant en lumière les minorités. Son engagement de tous les instants fait que ses paroles ne sont pas du vent et la meilleure preuve est que le (jeune) public répond aussi présent. » À cette pommade non périmée, j’ajouterai que les vidéos de grande qualité ont décuplé la force de ce nouveau show et magnifiquement investi la plus grande scène du festival.

Oumou Sangaré: Sakifo est plutôt étiqueté world music et la musique africaine y tient toujours une place de choix, même si la sélection s’oriente forcément vers l’Afrique australe. Charismatique comme jamais, la malienne a irradié la scène avec sa majestueuse voix , bien portée par ces deux danseuses choristes de premier choix.

Last Train: Terminer un Sakifo avec du rock ça se refuse pas. Depuis leur passage en 2016, le quatuor a envoyé des riffs aux quatre coins de la planète (250 concerts dans le monde entier entre 2015 et 2017 !!!) et leur performance scénique est de plus en plus fougueuse et maîtrisée. Je me suis laissé embarquer grâce à un show light millimétré et par leur générosité même si je trouve que leur son n’a pas trouvé son identité et que les gestuelles de rockeur sont un peu trop stéréotypées. Merci pour cette dernière saucée d’énergie avant d’enfin rejoindre mon lit.

© Manzi

Désolé pour tous les autres groupes devant lesquels je n’ai pas pu rester et que je ne peux pas chroniquer. C’est la loi cruelle de l’offre, de la demande et de sa propre disposition émotionnelle à recevoir tel son à tel instant. Malgré tout son talent, Lova Lova après Metronomy, c’était ingérable pour Bibi.

Merci Sakifo pour ces rencontres musicales et ces retrouvailles amicales. Participer à ce festival n’est jamais banal et, si l’on repart épuisé de cette épopée, quel plaisir de revoir ces (jeunes) foules se mélanger et communier à gorge déployée.