Samedi soir, le ciel saint-gillois déployait ses rougeoiements van goghéens, les rangées bétonnées du Téat Plein Air étaient incandescentes (t’as rien senti car t’avais apporté ton coussin… ne m’adresse plus la parole steup) et Jacqueline Baghdasaryan a brillé de mille feux.
Résumer le groupe Ladaniva à sa chanteuse serait forcément réducteur mais cette jeune artiste impressionne par sa virtuosité vocale, son charisme naturel, sa tchatche aussi spontanée que communicative et ses déplacements chaloupés. En presque deux heures de concert, tel l’irréductible 4x4 russe des années 80 (le Lada Niva, d’où le nom du groupe), elle a franchi tous les pitons avec ses modulations, chevauché nos ravines avec sa bonne mine et fait oublier le cyclone Batsirai grâce à sa gouaille.
Rendre un hommage vibrant à sa maman sans être dégoulinant : Ayo’ (oui, en arménien)
Clasher son homme, le multi-instrumentiste Louis Thomas, en toute légèreté et provoquer l’hilarité : Ayo’
Faire briller ses invités sans se la péter : Ayo’
Krazé un maloya avec Madiakanou sans vaciller : Ayo’
Interpréter une chanson romantique en français, en compagnie de son mec, façon duo de Taratata sans que je trouve ça trop sirupeux : Ayo’
Ressusciter l’aura de l’intemporelle Lhasa : Ayo’
Enchaîner complaintes du Moyen-Orient et pop des Balkans sans tomber dans un répertoire folklorique académique : Ayo’
Arborer nu-pieds une élégante tenue de soirée pour me faire oublier tous les sarouels chamarrés de l’assemblée : Ayo’
L’année dernière, j’avais déjà eu la chance de voir Jacqueline à la plage, en concert au resto Le Payanké entourée d’une flopée d’invités mais ce défi de perpétuer l’esprit de cordialité sur la scène plus guindée du Téat n’était pas gagné. La force de ce jeune groupe, composé de musiciens chevronnés, est de parvenir à intégrer une multitude de sonorités en évitant l’amoncellement brouillon, propre à beaucoup de groupes world music étiquetés « fusion ».
La formation jazz de certains des musiciens assure la cohésion du projet sans toutefois sombrer dans une démonstration technique et un empilement de solos onanistes. Courant janvier, avant ce concert-kermesse, une partie de cette troupe avait arpenté les petites scènes de notre île avec le groupe de swing You Rascal Band ou Aguacate et, si vous avez l’occasion de les écouter, vous retrouverez cette quête d’hétérogénéité, cette soif de rencontres toujours au service d’une exigence musicale de qualité.
Ce nomadisme musical me rappelle ce (vieux) documentaire consacré à la tournée de la Mano Negra où l’on pouvait se rendre compte du bouillonnement permanent de sons dans le quotidien de la clique à Manu. Cette bande trace le même sillon et ondule au gré des rencontres amicales ou scéniques, parvenant à enchevêtrer les influences pour faire bombance. C’est toujours roboratif et jamais bourratif, comme le prouvent leurs derniers titres épurés et festifs: Kef Chilini, Pourquoi t’as fait ça? et Vay Aman.
Manzi