Contre vents et marées, la saison reprenait à Champ fleuri vendredi dernier. Au menu, les très attendus danseurs comoriens du chorégraphe Salim Mzé Hamadi Moissi avec une double création : le solo “L’Expat”», suivi de “Massiwa”. Ali a décrypté pour Bongou cette soirée frémissante. On te partage son analyse réjouissante.
L’Expat est un beau solo du chorégraphe comorien. Un travail surtout localisé dans le haut du corps accompagné de gestuelles et d’une façon de prendre le mouvement qui est typique de la société comorienne. D’où peut-être le titre de la pièce. Vous avez beau vous expatrier dans une culture lointaine et en adopter la langue et les coutumes, il restera toujours en vous quelque chose de vos origines, une sorte d’accent prononcé dans votre façon de bouger, de parler, une manière de marcher, repérable des autres comme des ethnotypes qui vous collent tels un T-shirt étroit.
Salim Mzé Hamadi Moissi a su jouer de ce répertoire pour en faire une belle pièce en format monologue corporel qui tient en haleine le spectateur. Avec la danse « Juste debout », un mouvement issu du Hip-Hop qui n’utilise plus le sol, plus besoin des pas ni, par voie de conséquence des pattes. Adieu les tours de pas de Fred Astaire, les envolées de Barychnikov, tout est au-dessus de la ceinture, au format vidéo-Zoomable, et par conséquent utile pour l’Expat(tes). C’est intéressant mais il ne faudrait pas que cela devienne une habitude en danse.
Heureusement, la seconde pièce, Massiwa (les îles en comorien) renoue avec virtuosité avec tout le répertoire au sol du Hip Hop, avec la prise de l’espace scénique et le langage de la danse contemporaine. Magnifique travail d’ensemble des danseurs avec des pilons en bois de grande taille, traditionnellement utilisés par les femmes pour piler le manioc ou les graines. L’utilisation des pilons provient de la Wadaha qui est une danse de femmes aux Comores. Les femmes réunies en groupe tournent pour les unes autour du mortier (hino) pendant que d’autres au centre miment le pilonnage des végétaux dans le mortier avant de donner le pilon (mtsi) dont elles sont munies à d’autres femmes.
Le pilonnage dans le mortier est une métaphore de la relation physique de l’homme à la femme qui doit, selon une comptine africaine, frapper pan-pan mais gentiment. Avec un bon pilon et un bon mortier, on peut faire de beaux enfants … Là où Salim Mzé Hamadi Moissi a fait fort c’est dans la maitrise chorégraphique de sa pièce et dans sa dramaturgie. Après une séquence assez longue de poursuite d’un des danseurs par ses pairs, équipés de pilons, qui le martyrisent, la pièce évolue vers une tournure inattendue, on est chez Cendrillon à Moroni.
En effet les danseurs tirent chacun une chaussure du pilon présent sur scène pour voir si elle convient à leur pied, ce qui rappelle évidement notre belle Cendrillon. Sauf que, si vous n’avez pas encore décroché de mon babil, ce n’est pas une histoire de sœurs dont une est persécutée mais de frères dont l’un est moqué, ici le plus petit de taille qui est d’une vélocité inouïe dans sa danse. Le conte est transposé en version masculine, ce que l’on peut comprendre car, dans la société matrilinéaire comorienne, les rôles sont inversés : les femmes sont le centre du pouvoir, et les frères sont de pauvres concurrents sélectionnés pour les épouser.
CQFD (ce qu’il fallait danser) !
Ali