TOTAL CIRK vs LINSTAN DANSE

Si tout l’Hexagone peut nous envier notre mois de novembre non confiné, encore fallait-il que les structures de notre île bataillent pour maintenir les spectacles programmés. Je tiens particulièrement à féliciter les festivals Linstan Cirk et Total Danse pour leur pugnacité et la qualité des prouesses que j’ai eu la chance de presque toutes visionner. Si Bongou aime bien taquiner, il sait aussi se prosterner devant un tel étalage de qualités.

Franchement, comme il n’y a pas un spectacle à jeter dans tout ce que j’ai maté, je vous propose de revenir en images et en accéléré sur ces instants auxquels, je l’espère, vous avez également participé.

J’ai huit secondes pour vous dire que Ziguilé c’est de la dynamique et je suis très ravi d’apprendre que la version rue de ce spectacle est déjà bien en route. La Cie Très-D’Union ne fait pas dans le propos intello mais propose un cirque yolo ; une ludique bataille qui doit être vue par un maximum de marmailles. Si tu es directeur d’école et que tu cherches un spectacle de fin d’année, je veux bien faire l’entremetteur sans être commissionné.

Idem pour la Carte Blanche donnée à Cirquons Flex tous les deux ans dans le cadre de leur convention à la Cité des Arts. En dix jours de résidence, ces huit circassiens nous concoctent des tableaux toujours plus aboutis où la sincérité bohème et l’exigence disciplinaire cohabitent avec subtilité.. Allez faire un tour aux Bambous le 25 ou le 27 novembre si vous les avez ratés car ils seront bien entourés.

Alors Carcasse, c’est un peu l’opposé de Ziguilé avec un tempo plus chamboulé et une narration plus théâtralisée. Tout n’est pas parfait mais la complémentarité des deux interprètes, la bande-son envoûtante et le zig roll majestueux en mettent quand même plein les oreilles et les yeux.

Après avoir vu Bankal de la Cie Puéril Puéril, on comprend illico que Ziguilé c’était pétillant et très pro mais qu’avec ces deux-là, c’est du très haut niveau: la virtuosité des portés se double d’une causticité véhiculée par une tchatche de rue maîtrisée. On ne va pas regretter que ce spectacle ait dû jouer au Séchoir mais, dans le parc du 20 décembre, il aurait cartonné auprès d’un plus grand auditoire et les interactions avec le public auraient été plus énergiques.

Ce temps circassien s’est conclu personnellement en apothéose avec Vol d’Usage de la Cie Quotidienne, le genre de spectacle où tu te dis que les sangles aériennes auront du mal à être mieux exploitées et qu’un accident de vélo ça peut être sacrément beau. Pendant ce voyage en apesanteur, je n’ai cessé de penser que cette performance était l’incarnation en mouvement de l’Homme de Vitruve s’il se mettait à pédaler ou à voler. Les chassés-croisés tout en précision associés à ce sentiment de suspension procurent d’intenses sensations, des vertiges scénarisés et maîtrisés proches de ceux ressentis pour ce monument du cirque contemporain, Celui qui tombe de Yoann Bourgeois.


En novembre, le cirque a bien envoyé? J’en suis fort aise. Eh bien ! Dansons maintenant. Évidemment, un seul festival c’était trop simple alors il a fallu jongler avec la programmation de Total Danse, éclectique sélection de rats de ballets et d’enfants de la balle. On ne va pas se plaindre de cette bousculade de sollicitations mais faudrait être maso pour ajouter un autre rendez-vous dans ce consistant ragoût. Comprenne qui doive ou qui peut.

Encore une riche édition malgré quelques annulations. Si le spectacle UNETSU de la compagnie SANKAI JUKU m’a moyennement convaincu, je connais désormais la différence entre bento et buto et je suis franchement sorti ravi de toutes mes autres sorties.

Fouad Boussouf et sa compagnie Massala ont fait trembler le Théâtre Luc Donat avec leurs énergiques pas, sur fond de musique gnaoua. C’est de la danse populaire, vindicative et festive qui permet des embardées spatio-temporelles, dans un langage universel . On ne peut sortir indemne de cette transe, redoutable fusion de gumboots, hip-hop et engagement circassien..

Changement radical d’énergie avec Le Bain de Gaëlle Bourges, programmé au Grand Marché. Proche d’une performance en arts plastiques qu’on aurait plutôt envisagée dans un centre d’art contemporain, il est évident que ses tableaux en mouvement sont bel et bien des arts vivants. J’ai été envoûté par l’apparente simplicité de la scénographie qui s’appuie sur de subtiles interactions acoustiques pour mettre en avant la minutie des gestes des manipulatrices. La complémentarité et la synchronicité des mouvements tout en relâchement procurent un délicieux sentiment d’apaisement et de flottement.

Comme je n’ai toujours pas le don de duplicité, je n’ai pu assister au solo engagé de Soraya Thomas, Et mon cœur dans tout cela? mais ma collègue Zerbinette l’a savamment décortiqué. Pour vous faire une idée, cliquez.

Nouvelles Pièces Courtes de Philippe Decouflé s’annonçait un peu comme le final éruptif de cette édition de Total Danse. En tout cas, c’est comme ça que moi, je vous l’avais annoncé tant j’avais été émerveillé, dans mes jeunes années, par l’excentricité et la perméabilité des registres proposés. La magie a encore opéré les quatre premiers tableaux pendant lesquels j’ai été franchement enthousiasmé par la variété des saynètes, la polyvalence des artistes, l’efficacité des chorégraphies et l’utilisation immersive de la vidéo. Je n’oserais pas dire que Decouflé est essoufflé tant il y a encore des prouesses et de la créativité mais l’esthétique est anachronique. Le spectateur aguerri (ou aigri si ça vous dit) que désormais je suis, n’arrive plus à se passionner devant une succession de tableaux, même s’ils sont très beaux. Ce zapping poético bling-bling proche d’un tour de piste du Cirque du Soleil est truffé de moments exquis et je suis sincèrement ravi que le public ait été conquis. Je pense notamment aux jeunes spectateurs, pour qui ce moment générera sûrement un émoi éveilleur, comme ce fut le cas pour moi il y a 27 ans et quelques heures…

Manzi

P.S. Un grand merci à Gilles Presti pour les belles photos de Linstan Cirk