Ce qui est bien quand on est un inconditionnel de Téhem, c’est qu’on est certain d’avoir plusieurs doses annuelles de dope tant ce dessinateur est prolifique. Après la sortie du brillant Piments zoizos et du pédagogique Aux Archives, Avocat du diable est une giclée humoristique de haute qualité.
Vous aurez compris que les traits de cet avocat sans foi ni loi rappellent évidemment le facial de Jacques, bien connu de tous les Réunionnais pour son intégrité sans faille. La caricature est aussi réussie que l’idée de départ est bien sentie : un avocat consciencieux mais peu scrupuleux défend corps et âme des clients hauts en couleur et en horreur. Hitler, Dark Vador, Trump, Alien, Jésus, Khadafi, King Kong, Marc Dutroux, Pinochet, Poutine, Sauron, Michael Jackson, Monsanto, Hannibal Lecter, Le Minotaure, Ben Laden, Néron, Barbe Bleue, … une centaine d’accusés qui auront la chance d’être défendus par ce sournois membre du barreau. 11€45 (prix Réunion) pour 100 strips ; ça nous fait du 11 centimes la vanne : rapport qualité/prix, c’est imbattable, surtout quand on pense aux acheteurs du JIR du samedi qui espèrent encore se bidonner avec la gouaille rance de l’éditorialiste, illustrée par un caricaturiste caduc.
Avocat du diable, c’est Tiburce en bien burné
J’ai déjà eu l’occasion de vanter le travail de Téhem sur ce média, allant jusqu’à m’enchaîner nu à la grille du Rectorat pour imposer l’intégrale de Tiburce dans toutes les écoles de La Réunion. Si les aventures de notre yabounet préféré sont truculentes, l’adulte (que je tente de devenir) restait un peu sur sa faim en termes d’humour loufoque et régressif. C’est donc avec une griserie non dissimulée que j’ai dévoré cette bédé, dont le concept génialement exploité conduit notre apologiste dans des situations moins châtiées et des figurations plus grivoises. Un petit coup de nichons de FEMEN par-ci, la teub du monstre du Loch Ness par-là, sans oublier les pets foireux du Maréchal Pétain ou un doigt d’honneur classieux de King Kong.
Si j’assume pleinement cette appétence pour le graveleux, je me refuse à expliciter en détail ce qui fait le charme de cet ouvrage humoristique. Franchement, n’y a-t-il pas plus insupportable qu’un type, appelons-le Laurent Ruquier, qui essaie de vous faire marrer en décrivant les dessins satiriques du Canard Enchaîné ? Pour autant, il ne faudrait pas réduire cet ouvrage à ces embardées rabelaisiennes car la majorité des planches allie malice et poésie. L’ami de Klaus Barbie reste très gentil, alors ne vous attendez pas à un florilège de pornographie digne de Maurice et Patapon en train de ken.
L’art du strip est délicat (j’essaie de m’y mettre avec beaucoup d’accroc) et le maître Fabcaro reste le maestro. On a beau comprendre les ressorts comiques, son microcosme absurde personnel tend toujours à l’universel. Téhem tire sur d’autres ficelles spirituelles, sans facilité et sans jamais lasser. Après plusieurs strip enquillés, l’on peut voir arriver certaines chutes mais elles tombent toujours justes tant l’écriture est aiguisée avec les mines ahuries des personnages amplifiant le grotesque de la plaidoirie. Il faut vraiment vanter la qualité du trait : si les accusés sont finement croqués, leurs trognes blasées suffisent souvent à faire marrer. Le souci du détail contribue à la richesse de la lecture, obligeant le lecteur à zoomer sur les pochettes des disques, les inscriptions sur des affiches ou un tee-shirt. Parfois, certains gags nous échappent au premier regard et le plaisir de la compréhension de la blague est forcément décuplé. « Ah ouais j’avais pas remarqué, là, les jambes des Milli Vanilli ! Oké… bien ouèj ! ». Les adeptes de Gary Larson seront comblés.
À partir d’un personnage fourbe qu’il rend attachant, Téhem explore un univers vaste et référencé, populaire et geek, potache et historique, accessible à tout humain de plus de 13 ans (c’est l’âge de mon fils qui n’a pu s’empêcher de me faire lire les planches sur lesquelles il s’était vraiment bidonné).
Merci à Téhem pour ces réquisitoires de flagrants sourires qui égayent quotidiennement les attentes de mon foyer lors du passage au cabinet.
Manzi