Mercredi 19 mai 2021. L’oracle Billant avait vu juste. Bongou peut enfin sortir de son cloaque et mater des spectacles. Et cette première virée fut franchement réjouissante grâce au Séchoir et au Théâtre des Alberts qui proposaient ce mercredi une représentation scolaire de sa nouvelle création Œdipe, etc. Ce spectacle est vraiment de saison pour nos apprentis incestueux puisque la Saint Valentin - euh pardon la fête des mères - est toute proche.
1. Une représentation scolaire, ça peut être l’enchantement comme la misère. Si les collégiens du jour étaient légèrement remuants, force est de constater que plus le spectacle avançait, plus attentifs ils étaient. La preuve que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs soaps.
2. La tragédie grecque ça peut être passionnant mais la multiplication des personnages et des intrigues, ça peut aussi être plombant. Heureusement, les deux co-metteurs en scène Vincent Legrand et Jacopo Faravelli ont su préserver l’esprit de l’œuvre originelle en écrémant le radotage dégoulinant et les épisodes redondants. C’est profond et drôle, fidèle et caustique, classique et contemporain. J’arrête ici sinon c’est moi qui vais tâcher la moquette.
3. La prestation des trois acteurs est impeccable sur le plan du jeu avec ou sans masque et de la manipulation de la marionnette. Mention spéciale pour Alexis Campos qui nous avait déjà bluffés en clown corrosif et qui ajoute une corde de marionnettiste à son arc tragicomique.
4. Les chants polyphoniques sont interprétés avec brio et ne sonnent jamais faux. Ils nous transportent dans un espace-temps flottant. Le timbre d’Agnès Bertille répond à merveille aux deux voix graves et les ambiances sonores rythment toujours le propos dans un bon tempo.
5. Le décor est épuré et chiadé. En déplaçant les faux blocs de pierre, les scènes s’enchaînent avec fluidité dans un jeu de lumières apportant une unité chromatique qui restitue avec onirisme les décors antiques.
6. Les coiffes du Sphinx, les masques de Tirésias et de l’oracle de Thèbes sont parfaitement esthétiques et intrigants, entre classicisme et tribalisme.
7. L’unique marionnette du personnage d’Œdipe, parfois maniée à six mains, est plus vraie que nature. Toute ressemblance avec l’en-marcheur présidentiel serait purement fortuite. Du reste, les allusions à notre vénéré manipulateur sont bien ficelées et ne tombent pas dans la facilité.
8. Les décrochages narratifs au cours desquels les acteurs/dieux/manipulateurs commentent avec détachement et sarcasme leurs actions sont des respirations humoristiques bienvenues et surtout ces interventions ne tombent pas dans l’intention pédagogique trop explicite.
9. La contemporanéité de cette intrigue pourtant ressassée tient en haleine et le pouvoir symbolique de cette épopée captive autant les adolescents que les parents, avec différents degrés de discernement.
10. L’affiche du spectacle signée par l’indispensable Hippolyte est splendide et mériterait une vente à prix responsable à la fin de la représentation pour que le spectateur puisse s’y replonger et se remémorer les épreuves du petit Œdipe qui sommeille en chacun de nous.
Manzi