Comme tu le sais, quand Bongou écume le Off d’Avignon, il en revient souvent avec des propositions. Le metteur en scène belge Jean-François Jacobs et son comédien fétiche Ismaïl Akhlal nous avaient déjà réjouis il y a trois ans dans la truculente pièce Bab Marrakech, ils nous électrisent dans Krim, nouvelle création qu’on espère voir bientôt dans notre région. Amis programmateurs, voici 4 raisons d’importer ce spectacle dans votre future saison.
Un Krim réunionnais
Si tu es moins ignare que moi, tu as tout de suite compris que Krim, le titre de cette pièce, fait référence à Mohamed Abdelkrim Al-Khattabi, le grand chef et résistant de la guerre du RIf, qui s’est déroulée de 1921 à 1926 (tiens, c’est le centenaire !) dans les montagnes du Maroc, et a opposé les puissances coloniales espagnoles puis françaises aux tribus berbères. Si tu as été au mieux capable de citer l’utilisation du gaz moutarde lors de ces échauffourées, sans véritablement savoir de quoi il retournait, il est temps de voir Krim. Non seulement la pièce propose de revisiter les faits marquants de ces affrontements historiques de manière en partie humoristique, mais elle tisse un lien direct avec notre île. En effet, à partir de 1926, suite à sa reddition au gouvernement français, Abdelkrim et sa famille sont exilés en résidence surveillée à La Réunion, à Château Morange puis à Trois Bassins où l’homme fera construire une magnifique propriété. Il est donc grand temps, de revisiter ce Krim réunionnais.
Un comédien flamboyant
Bien évidemment quand il s’agit de traiter la question coloniale, les écueils sont nombreux. Mais l’intelligence du metteur en scène Jean-François Jacobs, alliée au talent du comédien Ismaïl Akhlal transforment ce seul en scène en un ballet cocasse où l’acteur se démultiplie pour parodier tour à tour dans les deux camps. Roi de l’imitation des accents maghrébins, africains, mais aussi canadiens, italiens et j’en passe, Ismaïl Akhlal, que l’on découvre en début de pièce en tenue d’éboueur, causant seul à sa poubelle et à son balai, pulvérise vite ces clichés sur l’immigré. En quelques secondes, le diable se mue en chef berbère pour nous livrer les frasques vécues par son grand-père. Il multiplie les registres, saute par delà les époques, convoquant tour à tour l’universitaire pédant sur la question coloniale comme le villageois du fin fond des montagnes berbères. C’est hilarant, tragique, instructif, poétique, et surtout très intelligent car jamais lénifiant.
Spectacle ultra portatif
Côté scéno, amis dirlos, réjouissez-vous, le spectacle est fait pour l’exportation. Une poubelle, un balai téléguidé dont je n’ai pu percer le secret, quelques feuilles mortes et une créa lumière minimaliste mais efficace, voilà qui devrait vous enchanter, et comme la pièce convoque aussi le théâtre forum, il y a fort à parier qu’on puisse la jouer à l’extérieur pour encore plus de saveur. Voilà qui devrait achever de vous décider.
Sans langue de bois
Là où le spectacle fait fort, au delà du brillant seul en scène, c’est aussi dans sa dimension interactive. Jean-François Jacobs ne s’en cache pas, il est aussi adepte du théâtre forum. Réfléchir sur les conséquences de la guerre du Rif et de la colonisation, c’est aussi observer comment on quitte la langue maternelle pour la langue imposée, et de quelle manière les accents stigmatisent. Amenés à réfléchir sur nos préjugés, on rit mais surtout on grandit grâce à la participation des téméraires spectateurs lorsqu’ils révèlent nos erreurs. Autant dire que sur notre île où le créole réunionnais n’est pas toujours vecteur d’intégration, le comédien et le public auraient matière à réflexion.
Bref vous l’aurez compris, dans ce one man show d’une heure, où l’on rit de bon coeur, tous les ingrédients sont réunis pour que les réminiscences de la colonisation soient l’objet d’une passionnante réflexion. Mon spectacle coup de coeur de saison.
Zerbinette
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Crédit Photo : KRIM
Avec : Ismaïl Akhlal, Mise en scène : Jean-François Jacobs, Écriture : Jean-François Jacobs et Ismaïl Akhlal, Création lumière et régie : Lucas Verhaeghe, Musique : Sébastien Maret Robotique : Sébastien Soete, Production : Bab'Arts, théâtre Episcene et Centre Culturel de Verviers