DEUX GARS, UNE FILLE

La semaine dernière, dans les jardins de Stella Matutina, Bongou faisait partie des chanceux ayant pu assister à la pièce « Ne quittez pas » de la Compagnie Qu’avez-vous fait de ma bonté ? Les propositions théâtrales de Nicolas Givran suscitent toujours une attente particulière car c’est l’une des rares figures du théâtre réunionnais à sans cesse tenter de se réinventer. Voici mes arguments pour vous convaincre de vous déplacer lors des prochaines représentations. Malheureusement, il faudra attendre le 7, 9 et 10 octobre au Théâtre Sous Les Arbres.

Bongou, ayant récemment adhéré à la H.A.T.E.R. - Haute Autorité pour la Transparence des Exhortations Rédactionnelles – je me vois dans l’obligation de vous signifier que le co-auteur du texte de cette pièce, François Gaertner, est un très bon camarade. Par conséquent, vous comprendrez l’impossibilité de dire du mal de cette plume que je considère comme un subtil méli-mélo de Virginie Despentes et Fabrice Caro. Dans le méli des échanges téléphoniques du début de la pièce, j’ai retrouvé avec plaisir son art de l’humour absurde puis, dans le mélo, il a crûment et méticuleusement dépeint comment l’amour ouf peut finir par faire plouf.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Faire la critique d’une pièce dépend souvent de son état d’esprit du soir et de son proche auditoire. Il me semble important de signaler qu’à ma gauche, une chargée de diffusion m’avait divulgâché un personnage-clé de la pièce, ce qui a entravé l’espérée montée lacrymale qu’elle lorgnait dans mes mirettes lors du climax final. En revanche, à ma droite, deux jeunes spectatrices assez bavardes et dissipées ont terminé les yeux largement embués. Idem pour ce couple de sexagénaires assis devant moi, plutôt impatients sur la première partie mais les premiers à se lever et acclamer lors de l’ovation debout. Il est toujours aisé de juger du succès d’une pièce à sa standing ovation surtout quand on joue en extérieur et que le public est impatient de soulager son postérieur mais il suffisait de regarder les nombreux regards imprégnés pour mesurer l’accueil comblé.

Après cette longue intro de 334 mots, je pense avoir perdu la moitié de mon lectorat prêt à scroller vers d’autres contrées plus animées alors je vous délivre quelques courtes appréciations, accompagnées des superbes clichés de Cédric Demaison.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Quitte à remettre une couche de pommade régénérante, je mettrais en avant l’écriture de cette pièce qui serpente entre humour noir et poésie urbaine, créant un assemblage unique dans le paysage théâtral local.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Dans un théâtre réunionnais souvent prisonnier des conventions, merci à Nicolas Givran pour cette partition scénique électrisante. En ces temps de submersion de théâtre de boulevard ronronnant, il faut féliciter cette approche contemporaine, cinématographique et audacieuse, à condition d’accepter de se perdre dans ce labyrinthe mental.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Les comédiens naviguent avec une incandescence féline entre absurde et tragique, comme si Ionesco avait pris un rhum arrangé avec David Lynch. Il fallait être attentif aux échanges téléphoniques lors de l’installation sur les gradins car ils bouclaient l’échappée spatio-temporelle de ce "Mulholland Drive" dans les Hauts.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Si cette ancienne cabine téléphonique sublime l’espace scénique, elle fait allusion à une histoire aussi poétique que véridique : la cabine téléphonique du désert des Mojaves.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Les trois versions remaniées de "Tainted Love" (Amour Toxique en VF) tissent un fil rouge sonore évolutif, accompagnant habilement les états émotionnels de nos trois protagonistes.

© Cédric Demaison, représentation au Graff Park de Saint Denis, le jeudi 6 février, avec le CDNOI

Le titre et les photos de ce papier en disent déjà beaucoup sur l’intrigue de cette romance. On ne peut donc pas trop s’épancher sur les tenants et les aboutissants de cette histoire d’amour finalement assez convenue mais le texte, la performance des comédiens, la scénographie contemporaine et la bande-son envoûtante procurent son lot d’émotions viscérales.