Lorsque Thomas Jolly parait enfin, sur le parvis de Champ Fleuri, les traits tirés mais souriant, après sa prestation théâtrale qui figure à mon avis parmi les plus brillantes de la programmation des TDR ces dernières années, je ne peux m’empêcher de le féliciter. Son jardin de silence a su capter l’essence de Barbara, sans tomber dans les multiples écueils qui guettent les chasseurs de monstres sacrés. «Ah…, merci beaucoup parce que Barbara, pour moi, elle est là», et de me montrer les étoiles.
Il poursuit : «Et je peux te dire que quand Raphaëlle (Lannadère, interprète principale de Barbara dans ce spectacle et chanteuse de formation N.D.L.R) m’explique que si je la fais jouer, moi je dois chanter, parce que ça équilibre nos difficultés; j’avais plus la trouille que le jour où j’ai joué dans la Cour d’honneur du Palais des papes». Difficile à croire en effet, enveloppés que nous fûmes dans cette dentelle vocale raffinée. Voguant entre motifs du passé et surprenante modernité, le trio de Jolly nous a envoûtés.
En guise de trame narrative
En guise de trame narrative, quelques morceaux choisis, au cours desquels Thomas Jolly, Raphaëlle et Babx s’échangent les rôles, pour donner voix à la chanteuse, bien sûr, mais surtout aux satellites : artistes, journalistes, et rares amis, qui gravitent autour d’elle. De cette polyphonie, émerge la personnalité solitaire, entière et singulière de Barbara. Abhorrant la célébrité, la facilité, la vulgarité. Échappant aux propos entendus d’une presse convenue, par des réparties brillantes, souvent cinglantes. Drapée dans un manteau d’humilité, la chanteuse protège son intégrité.
Intimité scénographique
Un jardin de silence s’ouvre de fait, sur l’intimité de l’artiste. Sylvain Wavrant, magicien des antiquités et Antoine Travers, maître de l’obscurité cuivrée, excellent à recréer sur le plateau l’atmosphère raffinée des intérieurs surannés. Outre le mythique piano à queue ; ottomanes, guéridons, et fleurs séchées peuplent ce salon nimbé d’ombres orangées. Le fabuleux travail de lumière sublime le mystère.
Dans cet écrin, Raphaëlle Lannadère surprend. Jeune. Cheveux châtains et chignon bas. Physiquement déjà, nullement clone de Barbara. Mais l’alchimie opère par sa présence et par sa voix. « Pour Raphaëlle, parler sur scène était un défi. Marcher sur scène était un défi. Elle a passé des heures à répéter des simples mots » s’amuse Jolly. On le croit. Côté phrasé, le tombé est parfait. La chanteuse a su restituer la majesté sans ostentation de la dame en noir. Et son sens du dérisoire. À ses côtés, un Jolly facétieux incarne le regard extérieur. Il nous amuse dans ses personnages de journalistes insupportables ou de politiques imbuvables.
Et sur la fin, nous émeut. Partageant, par le prisme d’un ami discret de Barbara, l’implication de la chanteuse dans la lutte contre le sida. Un aspect de sa vie que je ne connaissais pas.
L’énergie de la nuit
Mais parmi les pépites de ce récital théâtral, un souvenir domine. Le merveilleux discours de la chanteuse sur sa robe de scène : « Une robe de scène, c’est sacré. Personne ne doit la toucher. Personne ne doit me toucher quand je la porte. Une robe de scène porte l’énergie de la nuit. L’énergie de la salle. C’est alors, paradoxalement, que je me sens nue, au plus prés de mon public.»
Une proximité que ce jardin de silence a miraculeusement ressuscitée.
Zerbinette
Crédit photo : Françoise Kersebet