Hier soir, c’était journée du patrimoine au Bubbles. Pour les néophytes dont je fus, le lieu est un club libertin dionysien. Dans les faits, il accueillait la troisième expo éphémère de Kriko , entreprise estampillée par sa directrice Catherine Grégoire “Cabinet de curiosités”. Au menu, promenade déambulatoire parmi les oeuvres d’art à la thématique érotique. Mais qu’était-on vraiment venu voir dans ce boudoir ? Tel est le sujet que je m’en vais traiter, répondant à ce détournement d’objets par un détournement de papier.
Nonobstant les observations du carton d’invitation qui justifiait plutôt sobrement ses intentions artistiques, cette soirée, soyons honnêtes, était une occasion inespérée pour beaucoup d’entre nous de découvrir l’endroit, situé boulevard de la Providence, ça ne s’invente pas. Un peu comme une visite de la morgue, sans être obligé d’y passer.
En troupeau devant l’établissement, comme pour la visite annuelle du Marion Dufresne, nous attendions sagement. Dans le jardin, première déception, une mère embarrassée d’un bébé en sac kangourou. J’ai vérifié, les nourrissons ne tiennent pas dans les casiers des utilisateurs du sauna. Quel tracas. Il y avait bien des balançoires, mais question normes de sécurité, les parents semblaient embarrassés.
En revanche pour les femmes enceintes, c’est beaucoup mieux fichu. Banquettes à vue, plein de coussins pour surélever le bassin, possibilité de s’isoler pour bosser son périnée, et table d’accouchement menottée pour être sûre de ne pas tomber. Mais revenons à notre sujet. « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » disait Baudelaire… Après tout, en esthètes que nous sommes, il s’agit plus d’appréhender la création que son lieu d’exposition. Difficile pourtant de faire abstraction d’un tel écrin, quand l’oeuvre d’art s’expose en club libertin.
Force est de constater qu’hier soir, les artistes furent détrônés par l’imaginaire collectif, cavalant dans cette maison de la tentation avalant toutes les attentions. Les tableaux, vampirisés par les fantasmes projetés, avaient bien du mal à s’imposer. Pourtant, côté inventivité, ils n’avaient pas lésiné. Derrière un mur de glory holes devenu confessionnal, Laurent Segelstein déclamait un verbe libidinal. Dans les alcôves grenat, des tableaux appât. Corps encastrés sur une planche sans roulette, collage de levrettes, Ago était en fête. Dans le sauna, une robe couture moitié tissu moitié chevelure offrait une fascinante texture. Au détour d’une cloison, la toile géante de Samuel Perche, impose un visage tumescent. Oui, ce fut saisissant.
Mais comme le Bubbles n’est pas un musée, il a inlassablement ramené les conversations à son activité habituelle, déchainant les interrogations, les suppositions, les projections. Les alcôves racontaient trop d’histoires, les odeurs déployaient leur savoir, les recoins bruissaient, les coussins de soie chuchotaient leurs émois, et le Bubbes devenait art en soi.
Tout cela entraînant des confusions cocasses. Attroupés sur la terrasse, nous sommes tout de même restés 5 minutes à admirer un jean lubriquement jeté sur un fauteuil. À chercher le nom de l’exposant. Jusqu’à ce qu’un membre de l’équipe nous demande de sortir du vestiaire du personnel.
Finalement, assez rapidement, tout le monde squattait le jardin. Les conversations allaient bon train. De cette polyphonie du libertinage émergeaient des questionnements fascinants : Y a-t-il une tête de l’emploi pour fréquenter ce sauna-là? Un trombinoscope de l’humeur salope ? Et la grammaire pour s’envoyer en l’air? Le mode préservatif se conjugue-t-il à l’impératif? Faut-il concilier fesses et politesse, tous les recoins sont-ils sains, et quid des lendemains. Bref tu l’auras compris, l’exposition éphémère s’est muée en performance langagière. Dans cette boîte rouge de Pandore, pas si hard core, c’est finalement le verbe qui a brillé, pour un big bang passionné.
Zerbinette
Merci à Flore Baudry pour le crédit photo, #florephotography