SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO :
ZERBINETTE : plateau nu, artistes vêtus de noir ou de blanc, tenues disparates. Costumes scéniques hétéroclites loin d’incarner la pureté des nuées animales. Visuellement, l’effet est négligé.
MANZI : Pour envisager des colonnes humaines sur quatre niveaux, il est clair qu’on ne va pas encombrer le plateau avec des lustres au plafond, ambiance rococo. Les amateurs de costumes chatoyants et décors rutilants façon Cirque du Soleil peuvent changer de rayon. Le dénuement assumé permet de se concentrer sur le mouvement. Exactement ce que j’attends quand j’ai l’occasion d’observer un vol d’étourneaux. Le ciel imaculé, moi et les petits oiseaux.
PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE :
ZERBINETTE : La Cie XY a construit son projet artistique “ Möbius” autour des murmurations animales. Dans ces déplacements, les individus parfaitement synchrones se meuvent en harmonie. Si vous avez déjà vu une nuée d’étourneaux ou un banc de sardine, vous savez de quoi je parle. Certes les danseurs de la compagnie, essentiellement des circassiens, maîtrisent l’art difficile de la pyramide humaine et bien d’autres techniques acrobatiques. Mais leurs mouvements ne racontent rien. Dans cette escalade sans cesse recommencée de corps arc-boutés, je n’ai retrouvé ni la suavité ni la grâce du monde animalier. Comme la bande son ajoute à l’effet de répétition, je ne suis pas entrée dans l’émotion.
MANZI : Il est des spectacles qui ne nécessitent pas d’histoire pour faire vibrer l’auditoire. Je suis venu voir du nouveau cirque, pas une pièce de théâtre. La devise de cette compagnie « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » explore des concepts simples comme l’entraide, la solidarité, alors inutile d’aller chercher des interprétations trop intellos après une semaine de boulot. La standing ovation spontanée a prouvé que c’est ce que le public était venu chercher.
CHORÉGRAPHIE AU BISTOURI :
ZERBINETTE : Bon. Les artistes de la compagnie XY forment des colonnes de trois. Ils se jettent dans le vide et ça crée l’effroi. Une fois deux fois trois fois. Mais l’ensemble manque de synchronisation, de grâce, de finition. Les pieds, les visages, les mains, n’achèvent pas souvent le mouvement. Le résultat est un peu brouillon.
MANZI : J’arrive à éprouver du plaisir simplement en observant un individu s’atteler à une tâche routinière avec des gestes épurés – que ce soit un horloger ou ma copine en train de cuisiner - alors imaginez mon bonheur de voir 19 acrobates s’envoler en chœur et retomber sans heurt pendant une heure. Pour réaliser des chutes de plus de trois mètres et des portés aussi périlleux, les athlètes ont des morphologies variées et si cette hétérogénéité peut manquer de fluidité par rapport à un ballet de danseurs stéréotypés, le rendu y gagne en humanité.
CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER :
ZERBINETTE : Alors qu’elle est au sommet d’une pyramide humaine donc centre de toutes les attentions, une danseuse remonte vigoureusement son short. Un geste trivial qui fait retomber le soufflet, et les incidents identiques se sont multipliés. Dans un autre cadre, j’aurais apprécié les prouesses gymniques. Mais voilà, j’attendais une prestation incarnée. Je suis restée au bord de ces corps peu habités.
MANZI : J’aurais pu parler des courses entrelacées et effrénées, des effets dominos admirablement synchros, des colonnes vertigineuses mais, au final, me revient un moment moins trépidant où seuls deux individus restent au plateau. Une voltigeuse est maintenue en apesanteur par la cuisse par un porteur à l’aide d’un seul bras. La grâce et l’exigence athlétique de cet atterrissage en slow motion m’a procuré beaucoup d’emoción.
T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI :
ZERBINETTE : Je vais reprendre ici les propos d’une des rares spectatrices à ne pas être tombée en pâmoison à l’issue de la représentation : « Encéphalogramme plat. Le bus est parti et je suis restée sur le parking. » C’est si bien résumé que je n’ai rien à ajouter.
MANZI : Merci au Téat Champ Fleuri de nous avoir offert ce moment d’évasion globalement réussi. Après « Le Grand C », « Il n’est pas encore minuit… », « Möbius » n’est pas le plus abouti de cette trilogie mais quelle chance de pouvoir suivre l’évolution de cette compagnie. Dommage que la bande-son ne m’ait pas vraiment emballé : les sons de carillons à répétition m’ont filé le bourdon du routard en pleine errance dans le rayon zen de Nature et Découvertes et les boucles transcendantales ont sûrement transporté certains dans le monde de l’atome pendant que je restais scotché aux mentons des frangins Bogdanov, ambiance Temps X. Si les fans d’Éric Serra et ses ambiances eighties instrumentales ont pu voyager avec ce continuum musical, j’ai largement préféré le thème final. L’électro étouffée semblant s’échapper d’un night-club au petit matin électrisait les funambules dans un dernier élan aussi enjoué que désenchanté telle une nuée de papillons éphémères en transe pour leur dernière danse.