Débit à la Rain Man et voix de garçonnet, un homme s'éveille. Il est debout, engrillagé. Le voilà qui lèche des objets. Il n'a fallu que quelques secondes, et l'assistance est médusée. Ça ne fait que commencer. Dans le programme de Lespas, le spectacle, classé Clown s'annonce « sensible, drôle et percutant. » C'est bien en dessous de la vérité. Le délirium du papillon est une performance terrifiante, sublime et extraordinaire. Qui rejoue trois fois. Précipite-toi.
SOIS FORT, DÉCRIS LE DÉCOR :
C'est une cellule d'hôpital psychiatrique, adoucie par la poétique. La camisole de force est une chemise de grand-mère dont on a noué les extrémités pour que les bras soient emprisonnés, l'enfermement est symbolisé par les lattes d'un sommier retourné, le rouge d'un nez de clown tuméfié domine le blanc asceptisé. Pas encore inquiétant mais pas franchement rassurant.
PASSE L'HISTOIRE À LA PASSOIRE :
Typhus ne tourne pas rond mais il a l'air attachant. Jusqu'à ce qu'on comprenne, dans le déballage de son verbiage, qu'il a tué son père. Atteint de troubles psychotiques allant de paranoïa en schizophrénie, il entend des petits fantômes dans sa tête, auxquels il prête tour à tour son corps et sa voix. C'est drôle et effrayant à la fois. Bienvenue dans la tête d'un incarcéré qui pense être libéré en fin de journée. Pleins feux sur la tragique jubilation d'un fou en prison.
SCÉNOGRAPHIE AU BISTOURI :
La pièce s'approche volontiers de la performance dadaïste, déconstruisant progressivement nombre de conventions scéniques. Le delirium du papillon est un spectacle participatif dans lequel Typhus quitte fréquemment le plateau pour haranguer le spectateur. Créant le malaise par toutes sortes de pratiques que seule sa folie excuse, il maltraite son audience et la bienséance. Sur scène, on navigue entre théâtre d'objet, chorégraphie hallucinée ou cirque nouveau. La pièce n'a de cesse de se métamorphoser, variant les genres et les registres à vitesse grand V.
CE QUI T'A MARQUÉ SANS T'ÉTALER :
On plonge rarement dans la tête d'un fou. C'est inconfortable parce qu'incontrôlable. Tout à coup, Typhus s'approche de moi : ” Oh ! mais pourquoi tu es ratée toi ? Tu es pas pareille des deux côtés ! Tu as les yeux de ton père. Tu dois lui rendre. Il ne voit plus rien”. J'éclate de rire. Beaucoup moins quand il s'approche, démoniaque, à un centimètre du visage de mon fils comme pour le dévorer. Terrifiant Hannibal se jetant sur lui comme un animal. Incarnant les personnages qui tiraillent son être psychique, il nous fait basculer du meurtre à la poésie, l'espace d'une répartie. Et nous confronte, nous, les valides, à ce pan d'humanité qu'on se contente d'enfermer et de droguer. Empruntant la voix du corps médical pour une satire ubuesque du diagnostique psychiatrique, Typhus exhibe notre incapacité à soigner.
T'AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI :
Extraordinaire à tous niveaux. Côté forme, la mise en scène frénétique porte sans s'essouffler un comédien virtuose de l'excès. Le niveau de jeu atteint des sommets. Côté fond, les logorrhées empruntent aux surréalistes leur tragique beauté. Les vérités à la Beckett réveillent notre culpabilité : ” Mais pourquoi ? parce que. Mais pourquoi ? parce que.” répète le malheureux. ” Notre réponse à la folie est une vaste hypocrisie. ” Même pour le simple envol du papillon, tout le ciel est nécessaire ” Typhus citant Claudel est le cruel rappel d'une humanité qui peine à assumer ses névrosés.
Zerbinette
Cours voir cette pièce ce soir mercredi 20 mars à 19 H à Lespas, jeudi 21 mars à Canter, ou vendredi 22 mars au théâtre Luce Langenier.
Merci à Fabien Debrabandere et Judith Kurtag pour le crédit photo.