SOIS FORT: DÉCRIS LE DÉCOR
MANZI : Deux gradins se font face dans un dispositif immersif avec, au centre la scène et, côté jardin, un peintre réalisant une fresque proche du croquis d'audience. Surtout, cette pièce est jouée au Téat Plein Air, sous les étoiles, avec la mélodie des grillons pour concurrencer les cigales d'Avignon.
ZERBINETTE : Nous sommes aux jeux du cirque, comme du temps des romains. Devant nous, l'arène rectangulaire où vont se livrer les passions délétères. Format cour de justice. Juge, témoins, jurés, tout le tribunal est reconstitué. Sans oublier la fresque peinte en temps réel au début de la pièce, représentant l'humanité qui va s'échouer. Une version des mangeurs de pomme de terre vus de la mer.
PASSE L'HISTOIRE À LA PASSOIRE
MANZI : Méduse relate le procès de 1816 condamnant les violents affrontements entre officiers et soldats et les actes cannibales des survivants sur le fameux Radeau. Après un premier acte entièrement consacré à l'audience d'un officier rescapé où la raison fait loi, la pièce s'accélère quand un simple matelot s'oppose à cette version officielle et elle chavire dans une hystérie anthropophage et dénudée avec des naufragés plongés dans des actes de bestialité.
ZERBINETTE : Méduse raconte la lutte absurde des appétits pour s'approprier la terre d'autrui. Méduse raconte l'essence du colonialisme, l'animalité, la voracité, sous les oripeaux civilisés. La pièce se construit en deux temps. Dans le premier, les rescapés, fort policés, expliquent à la cour les raisons de leur survie. Si tu les as crus, tant pis. Un poème de Pessoa, et tout bascule. Les voilà sans fards : fous, cannibales, soiffards. Ou juste humains. Trop humains.
SCÉNOGRAPHIE AU BISTOURI
MANZI : Le premier temps – celui des arguments ou des boniments ? – est brillant et aussi convaincant que les éléments édifiants apportés par le nouvel intervenant. Le deuxième sert de transition et si l'interprétation de l'Ode maritime de Pessoa est envoûtante, elle n'en reste pas moins un brin assommante. Enfin, le dernier acte est aussi palpitant que perturbant.
ZERBINETTE : Assumer sa bâtardise jusque dans la scéno, voilà qui est pro. Dans cette pièce, s'enchaînent les séquences hétéroclites. Du conformisme du prologue aux baroques altercations finales, des fresques naturalistes aux vidéos surréalistes, des costumes d'époque aux loques épiques, du tragique au loufoque. Le plateau se désorganise à mesure que le radeau prend l'eau, mais le rythme va crescendo.
CE QUI T'A MARQUÉ SANS T'ÉTALER
MANZI : J'ai aimé me faire convaincre par l'officier et me faire complètement retourner par la version du simple troufion. C'est aussi éloquent que quand des auteurs comme Virginie Despentes ou Michel Houellebecq nous dépeignent brillamment de sordides individus et parviennent également à provoquer de l'empathie.
ZERBINETTE : Manzi n'a pas dormi. Même, il a réfléchi.
T'AS AIMÉ OU PAS? SOIS FRANC OU TAIS-TOI
ZERBINETTE : Que oui. Pour le cynique procès des splendeurs et misères du colonialisme sur fond de cannibalisme. Pour le huis-clos à ciel ouvert où l'humanité part en lambeau à mesure qu'on se partage le monde sur les flots. Parce qu'enfin, au retour du procès, te voilà crucifié. Faut-il s'en laver les mains, et jeter toute culpabilité à la mer, pour que vogue la galère ? Ou condamner ces monstruosités ? Certes, Les bâtards dorés excellent à anesthésier ton jugement. Mais la bête humaine jamais ne ment. On retient qu'aux portes de la mort, ces hommes crevaient de ne savoir comment se partager la terre. Amer.
MANZI : À part le poème un peu plombant liant les deux actes clefs et opposés, j'ai aimé ce changement de plateau sanglant, aussi inattendu que ce bar se transformant subitement en repère de vampires dans le film Une Nuit En Enfer (après la référence à Pessoa, je me devais de relever un peu le niveau). Je retiens également la double performance de Jules Sagot aussi dérangeant en greffier hébété qu'en naufragé détraqué. Enfin, je remercie Zerbi de ne pas m'avoir divulgâché la pièce qu'elle avait déjà vue en Avignon et qu'elle est revenue voir juste pour me le faire remarquer.