BLAKÉ, GOUDRON ET VOLUPTÉ

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« Excusez-moi, mais. . . ça veut dire quoi Blaké? » demande une gamine, timidement. Il est plus de 22 heures et la salle de Champ Fleuri est encore pleine pour assister au bord de scène du premier court métrage de Fontano, qui clôture la 13ème soirée Yabette. La question m'amuse, parce que la gosse est créole. Quels que soient ses choix d'écriture, la langue de l'auteur,  toujours, questionne. Sa représentation du pays aussi. Adieu palmiers, soleil, clichés. « Blaké ça veut dire goudronné ». En toute volupté. 

On connait la passion de Fontano pour le bitume. Son goût pour l'errance nocturne. Sa Réunion plus béton que lagon. Lorsqu'il nous raconte que Blaké puise son inspiration dans ses expériences de vigile de boîte de nuit, on est séduit par cette mythologie. Derrière la brute, l'étudiant lettré, derrière l'immobilité, le cerveau qui foisonne, derrière le gardien de la porte des enfers, toute une humanité. C'est sur cette dichotomie que se construit Blaké. 

Au commencement donc, le gardien d'un parking dionysien. Seul avec son ennui, la nuit. Anti-héros dont le monde réel se détourne. Donc que Fontano met au centre de l'histoire. Et qu'il incarne, forcément, parce que l'homme aime jouer de sa propre dualité. Pour ne pas céder aux démons des heures sombres, le vigile a besoin de beauté. Alors il la crée. Lorsque les mots sculptent son paysage intérieur, il n'est plus seul, mais amoureux, plus brute, mais poète, plus vigile, mais gardien de champ... Au format ciné, le scalpel de l'auteur gagne en intensité. Sous l'asphalte, son monde est plein de beauté. Les fleurs crèvent l'écran de fumée, la grisaille perd sa matérialité, on veut croire au conte de fées.

Mais son dalon parait, bridant son imagination. Retour au béton. Rupture de rythme et plans rapprochés, nous voilà  revenus à la trivialité. Formidable et monstrueux, Errudel écrase en lui le dieu. Non sans rappeler la figure du censeur de Loin des hommes. À croire que l'enfer reste l'autre. Et pourtant, on se marre. À l'opposé de ce gardien poétique, Errudel, campe un rustre métaphysique. Son monde à lui se détériore au fil des heures, comme le visage des “putes de cinq heures”. Cynique théorie du trottoir, brillamment exposée par ce comédien goguenard. En quelques plans, Fontano qui t'avait fait croire à la douceur te retourne sur le flanc. Et vlan. Mais le combat se joue ailleurs. Toujours à l'intérieur.

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Tenace, le gardien s'accroche à sa fantasmagorie. Il attend comme chaque nuit la chute de l'ange sur le pavé. Le retour de l'inaccessible femme aimée. Elle parait. Fontano filme Tergemina comme un Baudelaire fasciné par l'enfer. Diabolique, rougeoyante, beauté brutale dans cet univers létal où l'amour devient carcéral.

” Vous ne livrez pas les clefs du film à la fin ” remarque un spectateur. Mais peut-on reprocher à un gardien de les avoir conservées. Finalement, le dénouement m'importe moins que le trajet. Qu'à partir de la poussière, Fontano déploie un tel univers, que  sous la chape bétonnée de la trivialité, il libère tant de beauté m'amène à penser que Blaké, comme son réalisateur, n'a pas fini de tourner.

Zerbinette