Hier soir, Bongou était aux abois, malgré un temps de chien, pour assister à la soirée d’ouverture du tant attendu Total Danse. Côté Yin, l’éclatant trio de la compagnie Par Terre - Anne Nguyen pour un Underdogs soul à souhait. Côté Yang, la sombre horde de l’enfant du péi Didier Boutiana, qui revisite dans Le Sol Oblige les errances migratoires. Qu’avons-nous pensé de cette entrée ? C’est dans ce papier.
ZERBINETTE : Il ne t’a pas échappé cher acolyte que ces deux propositions, malgré des ambiances différentes, se rejoignaient dans leur approche politique et engagée de la danse. Les 3 danseurs d’Underdogs explorent les mouvements de contestation du pouvoir aux U.S.A, dans les années 70 tandis que Boutiana s’attaque à une réflexion sur les déracinés des migrations africaines. J’ai apprécié d’emblée cette cohérence, tout comme la diversité chorégraphique. Voilà un ancrage qui a dû t’inspirer, toi qui aimes autant l’abstraction que mes digressions.
MANZI : Complètement d’accord pour la cohérence de cette double programmation car c’est toujours mieux quand la danse n’est pas hors-sol et qu’elle s’appuie sur des enjeux sociaux, anciens ou contemporains. Par-contre, j’ai vraiment eu du mal à basculer dans les deux univers tant l’énergie communicative proposée par les trois danseurs d’Underdogs m’a scotché. J’avoue ne pas avoir trop essayé d’intellectualiser les chorégraphies et je me suis laissé porter par l’explosivité et la synchronicité des danseurs avec cette bande-son impeccable (Wendy Rene, Gil Scott-Heron, Sam Cooke, Etta James, Marvin Gaye entre autres). Forcément, le décollage a été plus périlleux avec l’accompagnement sonore proposé par Labelle qui m’a plongé dans une léthargie pas désagréable mais aux antipodes de l’exaltation audiovisuelle de la première proposition. Si j’avais mis en avant son travail sur la pièce dansée No Man’s Land (février 2021), cette création musicale n’a que rarement porté les chorégraphies, avec une impression de boucles répétitives sans vrai climax émotionnel. Du reste, perspicace ballerine, ce thème de la migration abordé dans Le Sol Oblige me rappelle forcément La Révolte des Papillons de la Cie Morphose dont la bande-son et la rudesse des circonvolutions m’avaient procuré tellement plus de sensations. Explique-moi pourquoi cette proposition t’a tellement interpellée.
ZERBINETTE : Ah, cher compère, que n’as-tu goûté aux battements de cœur de ce boléro de Labelle, qui m’a transportée non pas dans l’univers de Morphose, mais plutôt dans celui de Sharon Fridman, dont nous avions vu « Hasta dónde ? All ways » sur ces mêmes sièges en 2018. Si j’ai comme toi été galvanisée par les ondulations démantibulées ou désarticulées des danseurs d’Underdogs, c’est la seconde partie qui reste à mon sens la révélation de la soirée. Le dépouillement scénographique limite les effets chromatiques aux cendres sombres sur l’albâtre du plateau. Les visages habités portent des corps à l’avenant. Les jeux de lumière subliment les déplacements de la horde, entre solitude et solidarité. Les mouvements dégagent une maîtrise nouvelle, et Boutiana a parfaitement réussi à occuper les espaces visuels et sonores. J’ai oscillé entre la transe et l’hypnose, au fil des tableaux, sans jamais décrocher. Concèdes-tu au moins que le niveau vient de monter ?
MANZI : Au moins, on reste fidèles à nos convictions car la proposition de Sharon Fridman m’avait également laissé sur la touche même si je comprends les rapprochements. C’est intéressant que tu aies fait des danseurs de la compagnie Soul City tes outsiders alors que c’est la traduction exacte de “underdogs”, trio qui a calqué ses gestuelles sur des tubes soul quand les danseurs de Boutiana se débattaient sur des boucles électro qui soûlent. Sinon, je reconnais que les chorégraphies de Boutiana s’étoffent et prennent une vraie dimension sur cette grande scène de Champ Fleuri. Quelques tableaux sont très beaux avec des corps toujours en action malgré des portés un peu brouillons et des tenues foncées ne mettant pas forcément les arabesques en avant dans cette ambiance charbonnée. Au final, je dois t’avouer que cette transe hypnotique a surtout eu quelques effets narcotiques, bienvenus pour enquiller ce marathon de propositions.. On se retrouve sans faute vendredi pour Sidi Larbi Cherkaoui?
ZERBINETTE : C’est dit, et toi ami lecteur aussi.