TU VEUX PAS SORTIR AVEC MOI ?

Depuis peu, j’ai constaté qu’il était de bon ton d’annoncer la durée de lecture d’un article tant notre temps d’écran a besoin d’être optimisé dans ce fatras de vidéos de chats chafouins et d’épistémologistes autoproclamés. Sache donc que si tu es un lecteur expert, tu devrais mettre environ 3 minutes 54 pour savourer ce billet. Si tu le sens pas, reprends ton fil Facebook pour liker l’énième photo de cette copine accro aux réseaux et pour doom scroller des infos que tu ne seras pas capable de reformuler dans deux heures. “Dans Bongou y’a des mots… oui mais pas trop”, telle est notre nouvelle devise.

Normalement, le mercredi de rentrée culturelle, je suis plein d’entrain à l’idée de vous proposer une sélection mensuelle de spectacles que j’estime subjectivement enthousiasmante. Autant vous dire que je galère bien, vu comme le secteur a été contraint d’enfoncer les freins.

La semaine dernière, ma collègue Zerbinette y est allée de son coup de gueule bien asséné et je la rejoins évidemment dans la dénonciation de cette infantilisation du secteur culturel, pourtant expert en matière d’accueil du public dans le respect de normes déjà drastiques et ce, bien avant la Covid. Inutile que je revienne sur le caractère ubuesque de certaines autorisations (les Barbouzes du Puy du Flouze) qui attestent de ce manque de considération du gouvernement pour la Culture. Au fait, est-ce que la population semble offusquée par cette lente mise à mort des arts vivants ? Pas si sûr. Pendant le confinement, vous avez même peut-être vu passer le sondage ci-dessous concernant les métiers dits « essentiels » ou « non-essentiels »

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Bim dans ta gueule le saltimbanque. Direct en pole position les trublions. Sauf que cette « enquête » provient du Sunday Times, numéro 1 de la presse à scandales britannique, qui est aussi rigoureux éthiquement qu’un édito de Pierrot Dupuy quand il doit évoquer les élus de gauche. Pourtant, elle est assez révélatrice de l’image que certains se font de la profession. Ces mêmes personnes qui ont pourtant « survécu » au confinement grâce à des heures de visionnage ou d’écoute de contenus, imaginés et réalisés justement par ces glandeurs de troubadours. La perception de l’ artiste est souvent déconnectée de la réalité et l’industrie culturelle injustement appréhendée comme une pompe à subventions inutiles alors qu’elle rapporte deux fois plus que l’industrie automobile.

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En ce début de mois de septembre, si je galère à dégoter des spectacles officiellement confirmés, ce n’est rien à côté de la confusion dans laquelle sont plongés tous ces acharnés du divertissement. Car la culture ce ne sont pas que les artistes : il faut considérer la globalité des professionnels gravitant autour d’un événement, qui s’agitent actuellement dans tous les sens pour finalement se retrouver contraints d’annuler ou de reporter et risquant à terme de perdre leur emploi. Je vous encourage à lire cette publication de ce promoteur privé de concerts, spécialisé dans la scène alternative, rock, punk et métal pour mesurer le nombre d’emplois directs et indirects concernés par la tenue d’un concert. Moi aussi je me tamponne le coquillard des concerts des Fatals Picards mais ce recensement est éclairant.

Alors oui, localement, est-ce bien judicieux que la Région Réunion ait donné autant d’argent pour le tournage du sympathique film « Terrible Jungle », censé bizarrement se dérouler en Guyane ? Le Tangue a tout à fait raison d’ironiser sur cette stratégie mais les retombées économiques et publicitaires sont réelles : ça peut paraître dérisoire mais les multiples publications Instagram d’une des actrices, Alicia Belaïdi, se pâmant pendant le tournage, au milieu de nos paysages idylliques ne sont-elles pas plus efficaces qu’un spot de pub labellisé I.R.T. ? Quand Sakifo invite des dizaines d’artistes nationaux et internationaux, ce sont également des dizaines d’emplois créés avant, pendant et après le festival. Que ce genre de manifestation te plaise ou non - je suis le premier à égratigner leur programmation – La Réunion a besoin de ces rendez-vous pour faire vivre l’économie et placer notre caillou sur l’échiquier culturel et touristique.

À l’inverse, observons un cas concret de la fragilité du système : nous avons la chance d’avoir des festivals de plus en plus importants (ça peut aller des Électropicales aux Florilèges en passant par la Foire de Bras Panon) qui nécessitent de grosses installations techniques et scéniques. Si je vous dis qu’une société privée s’est endettée pour répondre à ce florissant marché depuis plusieurs années et que, fragilisée par les récentes annulations ou reports ébranlés, celle-ci ne parvenait pas à survivre à cette longue pause forcée… Comment organiser des gros concerts si La Réunion n’a plus le matos nécessaire ? Bongou ne veut pas jouer l’oiseau de mauvaise augure mais au contraire apporter son soutien sincère à l’ensemble de ses partenaires. Il se réjouit surtout d’apprendre que Total Danse et évidemment Sakifo se battent pour maintenir leur édition et que tous les professionnels du spectacle vivant font leur maximum pour assurer une programmation salvatrice dans cette fin d’année de merde 2020.

Malgré ces programmations décousues, Bongou n’a pas disparu et va continuer à causer de ce qu’il a vu et vous inciter à vous bouger le cul. C’est l’avantage du bénévolat, on ne risque pas de perdre son emploi

Manzi

P. -S. Comme je vous ai bien carotté avec la nouvelle devise de Bongou