Attention ! Manzi, chroniqueur spécialisé dans les comptes rendus de spectacles de jongolos ou autres punkassiens, se lance dans la critique littéraire en vous expliquant pourquoi Broadway, le dernier roman de Fabrice Caro, est son coup de cœur de la rentray.
Broadway est forcément mon chouchou vu que je n’ai lu que ce livre et que je n’en lirai peut-être pas d’autres avant la Saint Bénichou. Pour être tout à fait honnête, j’ai contracté une addiction – ce qui est beaucoup plus simple que de contacter une addition quand on a perdu son numéro – connue sous le nom de Carotite. Si la carotide achemine le sang et l’oxygène vers mon cerveau, la Carotite se concentre sur la livraison d’éclats de rire. Comme bon nombre de personnes, j’ai découvert l’univers de Fabrice Caro – alias Fabcaro pour les bédéphiles un peu bas de la bulle – avec Zaï Zaï Zaï Zaï, aussi culte que chiant chiant chiant chiant à écrire sur son ordinateur. Depuis 2015, j’achète quasiment tout ce qu’il crée (activité hautement dispendieuse tant il est productif) et, pour mieux appréhender la Bête, je rembobine parfois le temps en commandant le maximum de ses anciennes parutions. Cette frénésie consumériste est telle que ma compagne me lâchait le week-end dernier après que j’ai acheté L’album de l’année sorti en 2011 : « C’est sans fin » sans savoir que je tomberais par hasard sur Broadway cette semaine.
Ce qui est beau dans ma relation avec Fabcaro - oui je me permets cette intimité car j’ai osé le demander en ami sur Facebook comme tout bon ieuv qui se respecte peu - c’est que ses ouvrages m’arrivent souvent comme sortis d’un chapeau et que la magie opère illico.
D’ailleurs assez parlé de ma vie et intéressons-nous à celle de ce magicien du non-sens car c’est bien son quotidien le matériau principal de sa création souvent autobiographique, prétexte à moult mises en abime et digressions autocentrées. Fabcaro a une vie assez ordinaire, du moins c’est ce qu’il essaie de nous faire croire maintenant qu’il est devenu une star de la bédé et de la littérature, dans laquelle le lecteur peut s’identifier aisément surtout quand, comme le romancier, vous êtes né en 1973 et que les références culturelles et existentielles décuplent la puissance nostalgique et humoristique. Le génie de cet écrivain est de puiser dans sa vie courante de quadra désabusé des déviances finement observées qui dissèquent notre société. Il ne cesse de répéter qu’il a l’impression d’écrire toujours la même histoire et il a raison mais c’est de plus en plus jubilatoire, pour reprendre cet adjectif hideux du bandeau orange fluo de Broadway. Bandeau sur lequel il est intéressant de noter qu’il n’est plus présenté comme l’auteur de Zaï Zaï Zaï Zaï (qualificatif archi pesant sur lequel il a déjà tant ironisé dans ses bédés) mais comme l’auteur de Le Discours, son précédent roman qualifié de jujubilatoire par mon voisin pépiniériste. Pour information, Le Discours a déjà été adapté au cinéma, le film sort en décembre et le résultat fait forcément flipper. Mais soyons optimistes, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise comme ce fut le cas avec l’adaptation de Zaï Zaï Zaï Zaï par le Théâtre de l’Argument que nous avions encensé l’année dernière sur Bongou.
Les amateurs de trame narrative élaborée continueront tout droit sur cette autoroute saturée tandis que les amoureux du routinier bifurqueront vers cette curieuse contre-allée, juste pour le plaisir de badiner. Dans Le Discours, on suivait les questionnements d’Adrien sur le couple et la famille, terrorisé à l’idée de devoir écrire un discours pour le mariage de sa sœur et, dans Broadway, la simple réception d’une enveloppe pour un dépistage colorectal (4 ans avant la date officielle) va amener Axel à une grosse remise en question sur le temps qui passe, son autorité paternelle défaillante, ses rêves d’enfant broyés par la moulinette du quotidien, la recherche de l’émoi amoureux, les actes manqués, les relations humaines étrangement codifiées, …
Fabcaro, à l’instar d’un Woody Allen, pointe intimement les failles de l’homme moderne en même temps qu’il tire ironiquement sur les normes sociales et fait toujours un carreau.
Il nous réchauffe ses madeleines habituelles avec une cuisson toujours aussi minutieuse, des saveurs plus élaborées et toujours hilarantes. Passé maître dans l’art du running gag, le lecteur compulsif se réjouira des nombreux clins d’œil à la propre vie de l’auteur ou plutôt à sa mise en scène : l’éternel poulet-curry servi toujours à la même sauce, des bienfaits de La Boum sur l’adolescent contemporain, son hypocondrie délirante et tant d’autres névroses que j’oublie trop vite (tout le monde n’a pas la chance d’être hypermnésique) et que je me délecte de retrouver à chaque lecture. Selon moi, Broadway mérite une place d’honneur à côté du roman-culte de Pierre Desproges, Des femmes qui tombent, pour ses qualités littéraires et humoristiques suscitant d’incessantes relectures pour faire du bien à sa santé et à sa syntaxe.
À l’opposé des avis péremptoires d’experts en tout et surtout en rien, Fabcaro propose un éclairage brillant des failles psychologiques et sociétales de notre époque (de notre génération ?) avec une maîtrise de l’absurde et une élégante poésie.
Merci à toi Fabcaro, le monde a de plus en plus besoin de super moyen-héros pourfendeur de winners et défenseurs de doux-rêveurs.
Manzi