Samedi, Bongou poursuivait sa chevauchée dansée avec l’épopée saharienne Nomad, du chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui. La salle bondée et les applaudissements frénétiques ont confirmé que l’œuvre plait. Pourtant un spectateur nous a écrit sa traversée du désert. Comme Bongou adore les contestataires, nous allons disséquer son argumentaire.
ZERBINETTE : Lui, c’est Ali. Un lecteur de Bongou et spectateur assidu des Teat, qui nous a fait l’honneur de nous confier sa torpeur. : « Mais quelle pauvreté intellectuelle ! On a l’impression de retomber plus d’un demi-siècle en arrière avant l’avènement du postmodernisme en danse. Un pot-pourri d’exotisme orientaliste-mondialiste-écologiste (…) mêlant différentes cultures sans unité, sans raison, symptomatique d’une absence d’identité chorégraphique de l’œuvre, qu’elle se fonde sur un style ou sur une technique, ou sur leur rejet. Et puis ce premier degré de la dramaturgie, le soleil se lève : tous les danseurs s’étirent ; il pleut : ils s’excitent ; il fait chaud : ouh la la, la tête tourne ; on se déshabille pour se rouler dans la séquence du hammam-Buto derrière de magnifiques grilles en fer forgé marocain, mais là, juste au moment où ça devenait intéressant, Tintin Cherkaoui nous assène les essais nucléaires de Reagan, dernière page de National Geographic. » Je te laisse cher Manzi saisir ou non l’enclume pour répondre à sa plume.
MANZI : Ah ah ah Ali…quel bonheur de lire ta mauvaise humeur même si notre train ne persifflera pas trois fois. J’en suis le premier étonné tant mon entourage m’avait annoncé que j’allais détester. Ce qui est bien avec ta critique en coup de canon, c’est qu’elle relativise l’acerbité de nos habituels tirs croisés. Sans cette vidéo d’explosion nucléaire, je pense que ton jugement aurait été moins sévère même s’ il est vrai que cette intrusion fait clairement polémique en imposant ce (mièvre) propos politique. Je n’ai pas l’habitude de faire ma midinette et, si cette ambiance sub-saharienne laquée comme une étagère de Nature & Découverte est au ras des pâquerettes, je suis parvenu à délaisser mes considérations de grognon pour plonger dans ce tourbillon. Pourtant, tout le monde sait que ma capacité de contemplation est aussi puissante que celle de Patrick Lebreton dévalant sa nouvelle piste de quad, après des semaines de déforestation. Oubliées les Fémen et merci aux Fremen, ce peuple pionnier de Dune dont l’affiliation subjective m’a permis d’embarquer dans ces tableaux méditatifs, des brûlures désertiques au chergi du grand rif. Ou comment l’esthétique d’un blockbuster m’a diverti pendant une heure, bien épaulé par un paysage sonore moins tape-à-l’oreille que celui d’Hans Zimmer. Pour prolonger ce débat, j’en appelle à Zerbi la rabat-joie, notre reine de Saba et du pugilat.
ZERBINETTE: À vrai dire je suis plutôt Platel et Dada Masilo que sarouel et chameau. Je me suis laissée porter par la facilité induite par la construction chronologique, mais je crains qu’au prochain Total danse, le souvenir de Nomad ne soit plus qu’un mirage. Le propos écologique est absorbé dans les sables mouvants d’une esthétique léchée. Rien de fracassant, de bouleversant, de corrosif. Le spectacle a glissé sur moi comme la rosée, sans m’hydrater. Je rejoins donc Ali sur l’impression de vacuité, mais j’apporte un bémol concernant la scène des chameaux. Ces danseurs à 4 pattes sur leurs échasses parviennent malgré l’inconfort du costume et de la position à se mouvoir avec une grâce majestueuse. Un tableau d’une grande poésie qui m’a ravie. Bref, pour réconcilier mes deux enragés, convenons que ce n’était pas un spectacle engagé, mais une plongée contemplative dont l’esthétique clive. Si on en reste là, ça me va.