Ma première pièce de Fontano est en réalité le dernier opus d'un tryptique sur la peur, qui explorait les thèmes de la fuite, de la rébellion et de la soumission. Galé, du nom de la pierre qui frappera cette femme adultère, vouée à la lapidation, m'a intimement secouée. Pourtant, au 21 ème siècle nourri de Twitter et autres supermarchés virtuels du commerce des corps, sa problématique peut paraitre archaïque. Comment la plongée dans le verbe de l'homme fontaine, intense, et dense, ouvre-t-elle les portes de l'universel ? N'en jetez plus : explications.
Pour une partie de jambes en l'air sous les étoiles, la jeune héroïne de cette histoire va être lapidée. Certes, elle est mariée. Voilà qui rendait l'incartade d'autant plus haletante. Feydeau eut résolu le drame en ouvrant grand les battants d'une armoire. Amant au placard et honneur lavé.
Pas dans Galé.
Car la pièce est une tragédie, et qu'on se le dise, pas une partie de plaisir. Fontano convoque toutes les ressources cognitives du spectateur, et les contraintes sont multiples.
Tout d'abord, parce qu' intégralement écrite en créole, elle suppose une bonne maîtrise de cette langue pour ne rien perdre de la compréhension dramatique.
Ensuite, l'unité de temps : la nuit qui précède la lapidation ; de lieu : la maison familiale ; et d'action : le dialogue entre un père et sa fille, enferment l'intrigue dans un huit clos oppressant. Ajoutons à cela que le rythme, tout en tension, instaure une intensité tragique pesante.
Bref tu l'auras compris, ce Galé est aussi usé thématiquement qu' usant nerveusement. Mais il fascine. Et surtout, chamboule.
Revenons donc à l'écriture. Au commencement, le verbe se fait chair. Celui de Fontano, brut, juste, déverse puissamment sa colère dans la bouche du père. Les mots vomissent le poids de la tradition. Lorsque le flot se tarit, le père, presque vaincu, s'affaisse. Après lui, enfin, le silence. A contrario, des lèvres de la fautive, s'échappe un torrent qui ne faiblit pas. Des mots toujours crescendo. Comme le désir qui l'a conduite à s'unir à l'amant. Il y est question d'aliénation, et de l'impossibilité d'échapper à l'éros. Dans sa robe virginale, la jeune femme revendique la pureté de son crime. Comment reprocher à un être de chair l'intensité de ses pulsions. Et juger, dans l'instant, la beauté de la fusion.
La sobriété de la scéno sublime l'altérité du duo. Quoiqu'unis par la pâleur de leurs costumes, les personnages, tout en contrastes, émergent du clair obscur. Ils se déplacent peu. Écrasés par leurs émotions. De quoi magnifier les deux derniers tableaux. Celui du père outragé qui, vaincu par l'implacable lucidité de sa progéniture, ploie. Fontano, figure paternelle de l'homme montagne devient vallée de larmes contenues. Qui explosent, quelques minutes plus tard, dans un rideau de pluie et de colère, sous lequel se tient, immuable et digne, Florianne Vilpont.
Formidable d'audace et d'intensité, la jeune femme campe une guerrière éblouissante. Plus de quoi s'enticher des Femen enrubannées. À ses côtés, l'ogre Fontano déploie sa fragilité. L'ensemble, d'abord tonitruant, s'arrondit. Le gaillard, qui avoue volontiers avoir été élevé par des femmes, signe ici une œuvre puissante contre la barbarie. Une ode au courage féminin, dont Florianne Vilpont est la remarquable égérie.
Zerbinette