LES CHIENS DE NAVARRE ABOIENT ET LE CAR À VANNES PASSE

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Oui j'avais vu les deux précédents spectacles des Chiens de Navarre que j'avais adorés. Non je n'ai pas été déçu par ce troisième opus beaucoup plus écrit, durant lequel j'ai beaucoup ri car rien n'est jamais gratuit dans cette débauche de folie.

C'est toujours la même histoire avec les “premières fois” : j'avais été complètement abasourdi en 2014 quand j'ai découvert cette compagnie pour leur spectacle “Quand je pense qu'on va vieillir ensemble” et, si la réjouissance reste intense malgré quelques petites errances, l'effet de surprise n'a plus la même puissance. De plus, la question identitaire est le sujet casse-gueule par excellence où l'humour peut-être salutaire mais vite suicidaire. Heureusement, Dieu ne leur a pas donné une once de foi ni la mauvaise foi d'un Dieudonné pour dézinguer tous les pseudos mythes fondateurs de notre nation énarque-en-ciel. Si vous comptez aller voir ce spectacle génial en métropole – le Bongou est transcontinental figurez-vous – ne lisez pas la suite car je vais vous divulgâcher l'esprit des douze tableaux qui s'enfilent à la renverse comme douze Apôtres sous Poppers.

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  1. Tout commence avec l'accueil du public par l'excellent Maxence Tual, moitié Maître de Cérémonie sardonique moitié gourou de la Gestapo, tentant de diviser l'audience entre les nantis des premiers rangs et les sans-rien du fond. On dirait un discours de Wauquiez mais avec du charisme.

  2. Un enterrement tourne au fiasco, avec bagarres sous la pluie, nez en sang, drapeau français et cadavre de vieux souillé accompagnés de cris tragiques sur fond de Love is all. D'emblée, l'esprit sauvage est retrouvé et quelle excitation de voir cette troupe dynamiter le cérémonial des hommages nationaux dans une hystérie qui rappelle le clip sous LCD du morceau sus-cité.

  3. Un bluesman allongé sous un lampadaire ramène un peu de calme avec sa voix d'outre-tombe pour nous transporter dans un nouvel espace-temps très confus dont je n'ai pas compris l'intention, ce qui est peut-être précisément leur motivation.

  4. Ne me demandez pas non plus de vous expliquer pourquoi un taureau gonflable vient danser sur ce blues pastoral mais l'effet comique est immédiat et ne vous lâche pas. À défaut d'être mordant, ce passage est hilarant.

  5. La scène du pique–nique ressemble plus à un sketch classique où fusent stéréotypes racistes et truismes décapants. C'est franchement bien écrit et merveilleusement interprété, surtout quand l'horreur des propos est accompagné par les gestuelles de plus en plus déplacées d'un badaud venu prendre un bain de soleil dans son moule-bite rouge vif. Plus les propos s'enlisent dans les poncifs, plus l'individu se oint le corps de façon frénétique, pour finir à poil – habituel chez Les Chiens de Navarre – et tenter une prouesse onaniste anthropophage arrosée de ketchup.

  6. Dans un nuage de fumée surgit un éléphant rose sur un vélo, un petit tour et puis s'en va, pour laisser sa place à un De Gaule de 2m46 accompagné d'une Marie-Antoinette émoustillée par ce général démesuré. Pour le charmer, elle prendra soin d'ôter un tampon hygiénique sanguinolent de sa trachée pour le jeter sur les premières rangées. Visuellement, ce duo freak-monarchique est inquiétant, voire carrément dérangeant : si les dialogues sont moins percutants, les bourgeois et les militaires en prennent pour leurs grades décadents.

7. Un zodiac chargé de migrants déboule sur le plateau et demande de l'aide au public pour s'accoster. Mais l'acte salvateur peine à arriver. La faute à qui? À nous autres pardi! Il est tellement facile de partager des pétitions en ligne sur Avaaz et d'acheter le bouquin de Reporters Sans Frontières pour se donner une image engagée mais qui osera monter sur scène ?

In extenso, qui a déjà accueilli des gens dans le besoin ? On tire évidemment sur la corde de la culpabilisation et du désengagement du citoyen toujours bien-pensant mais rarement opérant. Le sauvetage aura finalement lieu, accompagné par le générique d'Intervilles et d'inoffensifs requins à la place des vachettes. Mention spéciale au squale désolé qui m'a arraché mon plus gros fou-rire en levant simplement une nageoire.

8. La thématique des migrants est prolongée avec un sketch dans les bureaux de l'OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés Apatrides) où l'accumulation des préjugés racistes ferait pâlir la pétillante Oprah. Les voix trafiquées façon Chipmunks amplifient la frénésie mais rappellent un peu trop la séance d'ouverture semi improvisée de leur précédent spectacle « Les Armoires Normandes ».

9. Allez, encore une scène où il est question de l'accueil des migrants par un couple bourgeois qui enchaîne les maladresses face au trio congolais, peinturluré en rouge et aux accents étonnants. Si le thème est redondant, j'ai adoré la précision de l'écriture, le malaise grandissant et la chorégraphie finale de la maîtresse de maison, l'actrice Céline Fuhrer (ça ne s'invente pas !) restera un grand moment.

10. Le décor du tableau précédent s'effondre et ouvre la voie à un pape black qui entonne Ma gueule de notre chanteur déifié. Forcément, ce tour de chant prend une dimension encore plus incongrue et savoureuse quand on connaît les sinistres tractations autour de son héritage.

11. Tiens encore une revenante : la pucelle d'Orléans a le feu à l'interstice et veut pécho un spectateur à pénis. Sûrement une des plus belles performances d'actrice de la pièce avec un monologue ciselé à la Audiard, un répugnant faciès de gueuse et ce savoureux accent canaille façon Annie Girardot. J'étais aux premières loges pour apprécier cette tirade, autant vous dire que j'ai eu très chaud. Mon voisin doit avoir des souvenirs plus marquants mais pas sûr qu'il ait pu apprécier sur le moment.

12. Le tableau final a laissé plusieurs spectateurs médusés car les Chiens de Navarre n'ont pas fait dans le feu d'artifice : au contraire, ils ont opté pour un dialogue intimiste et surréaliste entre un ersatz de Thomas Pesquet et Obélix. L'astronaute désabusé de n'avoir pu planter le drapeau tricolore sur cette nouvelle planète – la fameuse peur franchouillarde de réussir – cherche du réconfort auprès du gros gaulois dépressif, anesthésié à la potion magique dont la formule secrète à base de Xanax est enfin révélée. Cette discussion de conclusion en dit long sur la sinistrose de notre pays qui prétend se mettre En Marche en se référant à des porte-drapeaux désenchantés qui n'en ont rien à carrer.

Manzi