Bongou confiné veut aussi faire preuve de solidarité mais, comme il ne sait pas coudre, il préfère en découdre avec la médiocrité télévisuelle : bas les masques sur « Réunions », ce navet de série un peu financée par nos impôts.
Privé de sortie, Bongou est contraint de mater le petit écran et vient de découvrir cette série événement. Tournée de juillet à septembre derniers sur notre île, la série a été diffusée début avril sur Réunion La 1ère et elle est actuellement en cours de diffusion tous les mercredis à 21h01 (heure hexagonale) sur France 2. Pourquoi autant de précisions ? Pour vous éviter de perdre votre temps, même si celui-ci paraît extensible en ce moment.
Notre île aurait été choisie car elle incarne un « multiculturalisme à la française, où cohabitent harmonieusement une grande diversité de religions et d’ethnies ». Selon les producteurs, dont je tairai le nom par respect pour leurs proches, ce « vivre-ensemble optimiste » collait bien avec le thème de cette famille en voie de recomposition. Au vu de la photo de présentation, on comprend direct qu’on a plus affaire à un remake tropical de Plus Belle La Vie qu’à une adaptation créole de Festen. Évidemment, avec des arguments aussi mielleux, la Région a flairé la fringante promotion et a certainement filé le pognon en imposant quelques conditions. Après une fausse arrivée au Palm - je vous évite la genèse du quiproquo expliquant ce joli placement de produit – la petite famille estampillée « United Colors of La Redoute » va prendre ses quartiers dans un petit hôtel coquet de l’Ouest, avec affiches de Clavé comprises dans le paquet. Quel choix de tiékar authentique pour aborder des questions sociales ou familiales liées à l’insularité… C’est tellement plus simple de filmer la Réunion en drone que de se confronter à l’autochtone.
C’est sûr qu’avec ses travellings haut perchés, le spectateur métropolitain confiné doit quelque peu s’évader mais, pour nous autres réunionnais, ça nous enchante autant que les plans aériens de l’aéroport Roland Garros déserté, proposés par le service investigation de zinfos974. Afin de valider la labellisation IRT, la production nous a collé le petit Enzo, cadet de cette famille Ricoré, véritable Jiminy Cricket rappelant bien fort à sa grande sœur teigneuse, Vanessa, qu’il n’y a pas de requins dans le lagon et qu’elle peut venir faire trempette en toute sécurité. Avouez que c’est plus efficace qu’une annonce désincarnée grésillant à l’arrivée de votre vol Air Austral. D’ailleurs, pourquoi ne pas en remettre une petite couche en faisant bosser Victoire dans cette charmante compagnie.
Pour votre gouverne, Victoire c’est la femme de Nicolas. Nicolas c’est le frère blanc caché de Jérémy. Jérémy c’est le fils métis de Viana. Viana c’est la grand-mère cafrine : elle a eu deux enfants avec un planteur, dont un illégitime (Jérémy, pour les lecteurs généalogistes encore rivés à cette barbante énumération) et qui, ayant refusé d’avorter, a été sommée de filer sur le continent en échange de son silence et d’une grosse somme d’argent. Inutile de vous dire que je ne risque pas de spoiler tellement le scénario est désolant. Si j’ai réussi à tenir trois épisodes (sur les 6 proposés) c’est que je me suis amusé à repérer les lieux de tournage et les incohérences topographiques dans l’enchaînement des scènes.
Exemple : La mère traîne sa fille-accro-aux-réseaux dans un trek aux cascades DU Bras-Rouge (cascades Saint-Gilles en l’occurrence). Ouille ! L’effrontée se blesse et hurle sa colère qui résonne jusque dans Mafate si j’en crois le plan aérien associé à l’écho du braillement. Heureusement, deux heures et demie plus tard, mère et fille parviennent à redescendre sur le littoral à l’arrière d’une camionnette bondée de paille et de poulets, empruntant la route du Maïdo. Oui je sais, ce spotting est pathétique mais on s’occupe comme on peut vu la fadeur de l’intrigue et l’insipidité des dialogues. Soyons naïfs et imaginons que Tarantino ou Spielberg viennent tourner leur nouveau film à La Réunion: il faudrait vraiment être chauvin ( et sacrément con) pour suggérer à Quentin que ces personnages dégustent un lord américain à bord d’un car jaune sur le Barachois ou que Steven choisisse le paille-en-queue pour son remake du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson. En revanche, quand on met des billes dans une comédie bon enfant centrée sur une famille exilée, réalisée par Laurent Dussaux (Joséphine Ange Gardien c’était déjà lui), on est en droit d’attendre quelques interactions avec l’environnement pour donner du corps aux imbroglios de ces copies d’ Ingrid Chauvin.
Si vous visionnez ce nanar avec un camarade, pensez à couper le son et tentez d’improviser un play-back, comme à la belle époque de Kad & Olivier qui parodiaient Hélène et les garçons sur Ouï FM. En revanche, si vous étiez tenté de repérer des acteurs réunionnais, le jeu va être vite décevant car il n’y a que l’impeccable Delixia Perrine qui a réussi à s’incruster dans cette brochette de Césarisés (la série CUT avait eu le mérite de recruter un peu local). Le problème ne vient pas de la bonne ou de la mauvaise interprétation de ces acteurs mais du manque d’authenticité des situations, de personnages clichés, de quiproquos ressassés, de vannes grotesques et d’un contexte sociogéographique non exploité. Même le thème du générique sonne comme une bouillie lounge caribéenne et lorsqu’une bande de musiciens amateurs est entraperçue en arrière-plan sur la plage de Boucan, kayamb à la main, les seules notes perçues sont celles d’un steel-drum… C’est ballot car, dans la scène suivante, une collégienne de Juliette Dodu affirme à son prétendant métropolitain qu’il y a de supers groupes ici.
Manzi