LE ROI DE LA BIDOUILLE

PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE

Le spectacle commence par une question, et non des moindres : qu’est-ce qui marque le commencement d’une ère, et la fin d’un monde? Quand est-on entré dans le vingt-et-unième siècle? Très vite, on comprend que tout passage séculaire est relié à une tragédie, qu’il s’agisse du réchauffement climatique, de l’attentat du 11 septembre ou de tout autre événement ayant plongé  l’humanité un peu plus loin dans la monstruosité. À travers quatre tableaux, reconstitutions faussement naïves  des moments terribles du XXI ème siècle entrecoupés de chansons et loufoqueries acrobatiques diverses, l’artiste polymorphe Gilles Cailleau revisite cette chronologie, vers une meilleure sortie. Ce seul en scène est une merveille d’inventivité, de poésie, et d’humour. Les strates composites de ce spectacle hétéroclite en font globalement un moment haletant. 

SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO

C’est sans doute un des points forts de ce spectacle, tant Gilles Cailleau excelle à nous tromper.  Quand on arrive dans ce faux chapiteau dont les assises ; tabourets de bar, canapés défoncés, nattes au sol ou bancs de bois offrent un confort disparate, on croit pénétrer dans l’univers du Do It Yourself. Comme dans le théâtre de rue, on comprend que tout se fera à vue. 

En effet, ce roi du bidouillage construit le décor devant nous. Il visse, cloue, peint, branche des câbles, déplace des meubles afin qu’émergent dans ce nouveau monde fait de bric et de broc une île post apocalyptique, une mer entre deux terres, un trône incertain, et l’arche du Salut. Utilisant des objets de récupération posés ça et là sur l’arène, les amas hétéroclites deviennent des paysages d’autant plus saisissants qu’on ne les avait pas vus venir. L’ensemble est savamment rythmé et le plateau en perpétuelle mutation. Ces métamorphoses entrecoupées de chansons orchestrées en live donnent à l’ensemble une harmonie insoupçonnée. Sous couvert de jouer à la poupée, Cailleau saisit avec acuité les splendeurs et misères de l’humanité.


ET CE COMÉDIEN, IL ÉTAIT BIEN ?

Gilles Cailleau, poète, chanteur, musicien, bricoleur, humoriste, comédien, technicien, éclairagiste, pédagogue et fin psychologue est un artiste complet qui m’a émerveillée. Endossant ces différents rôles avec un humour de sale gosse, il nous embarque dans ses frasques avec une efficacité mêlée de simplicité. Par dessus le marché, il nous fait marrer. Dans son univers foutraque où les jouets tiennent le haut du pavé, les cerfs divorcés devisent sur la galère de la garde alternée, les Playmobil scalpés gobent des groseilles imaginaires tandis que des marionnettes vont tout foutre en l’air. Spectacle hautement interactif, Le Nouveau Monde est orchestré par un Cailleau de très haut niveau dans ces différentes peaux.

CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER

Sans hésiter la puissance évocatrice de la scène des réfugiés. Choisissant une ado dans le public, pour une expérience qui s’annonce bon enfant, Cailleau lui fait construire impromptu le décor de la tragédie à venir. Une planche en l’air entre deux chaises. Peinte en bleue, voici une mer. Un chapeau de papier, quelques poupées. C’est un bateau de réfugiés. 4 marionnettes de gendarmes plantées sur les pieds de chaise retournée. Voici les meurtriers. Puis, dans l’obscurité, hurlements et gyrophares, on est soudain en plein cauchemar. 


T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI

Oui, exception faite de la scène finale. Pour sa longueur déjà. Alors que Cailleau avait réussi ce miracle de nous captiver pendant 90 minutes, le voilà soudain décidé à nous noyer dans les eaux du Vivre Ensemble, construisant sous nos yeux l’arche de la nouvelle humanité. Nous vl’à quasi  forcés de communier , micro braqué sous le nez, à coup de déclarations enregistrées. Et de nous  assommer de questions convenues. Ce qu’on voudrait faire avant de crever, ce qui nous fait le plus flipper, et comment ce spectacle va se terminer. Invités à secouer nos téléphones portables illuminés comme des moutons de Panurge à la dérive, nous sommes condamnés à nous auto-écouter pour la grand messe des bonnes intentions. À mi-chemin entre la conférence TED et les agapes évangélistes, c’est un regrettable hors piste. Ah ! Monsieur Cailleau, que n’êtes-vous resté au sommet du radeau, cette chute eut suffit à nos bravos. 

Zerbinette