Elephant Man par le fêlé Fantazio

Nom d’un Spip comme ce seul-en-scène fut génialement vertigineux ! L’histoire intime d’Elephant Man n’a quasiment rien à voir avec le film de David Lynch, sorti en 1980, même si on pourrait y trouver des similitudes esthétiques et kinesthésiques.

Comme une grande partie des spectateurs de Lespas, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre avec cette pièce. Les extraits vidéo promotionnels sont peu parlants (comme souvent) et il fallait soit écouter sa curiosité soit connaître un peu le travail de ce touche-à-tout talentueux soit suivre les conseils avisés de Bongou. Bien m’en a pris car je suis sorti ébahi de cette performance magistrale et de cette introspection méticuleusement géniale. Vous ne le savez peut-être pas mais Fantazio, de son vrai nom Fabrice Denys, a le corps entièrement tatoué mais c’est l’intérieur de sa carcasse qu’il préfère trifouiller pour s’échapper de cette prison qu’on appelle normalité. 

Photo © Nicolas Joubard

Photo © Nicolas Joubard

Avoir le diable dans la peau en étant à fleur de peau, c’est la marque Fantazio.

D’abord assis à sa table, il tente d’exorciser son monologue intérieur. Le phrasé est haché et rappelle la mastication verbale du poète Christophe Tarkos, dont le langage déconstruit a servi de matière première au spectacle Gonfle de Camille Touzé,  programmé ce soir au Kabardock et vendredi au Séchoir. Dans cette première partie, il faut s’accrocher car l’ensemble reste abstrait et, pour s’immerger dans ses sensations, il faut être adepte de la proprioception (perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps) et du film Inception pour pénétrer son subconscient et ses incongrues confessions. Pour la faire simple, Fantazio est habité par une myriade de personnages - certains bien barrés, d’autres un peu trop sages - qu’il cherche non pas à éliminer mais à accepter sans les lisser. La démonstration n’est jamais narcissique ou autistique et l’on peut se retrouver dans l’acceptation ou le rejet de ses personnalités avec la même délectation. On va même s’en amuser car le spectacle tourne parfois à la conférence absurde et c’est franchement drôle et grinçant. Comme il est musicien, Fantazio excelle dans la gestion des silences. La maîtrise des rythmes comiques, des intonations idiomatiques, des mimiques, des imitations hystériques ou des déplacements métronomiques est toujours dynamique.

Photo © Nicolas Joubard

Photo © Nicolas Joubard

Sucer le design et se faire enculer par le vintage. C’est ça, être dans le présent !

J’ai particulièrement été emballé par son numéro de professeur d’histoire déglingo refusant le découpage autoritaire des frises chronologiques. Cette réflexion sur le temps présent aurait pu être plombante mais sa démonstration de philosophie par l’absurde est drôle et captivante. On retrouve la poésie minimaliste d’un Philippe Katerine, l’extravagance punk d’un Arnaud Aymard et la malice d’un Professeur Rollin sous neuroleptiques. Ses interrogations sur le langage ne sont jamais professorales et dézinguent la novlangue mielleuse. La merveilleuse interprétation du discours boursouflé d’un responsable de salle de spectacle pue le vécu et défonce l’insipidité des éléments de langage qui polluent le monde culturel. À travers les personnages qui l’habitent, Fantazio parle de lui, de nous et délivre une remarquable satire de notre société, trop policée et en manque de fantaisie.

Manzi

Fantazio rejoue ce jeudi à Lespas et vendredi au Bisik avec son costume de musicien et ce concert risque d’être bigrement bien.