« Je trouve pas ça terrible. Je m'attendais à mieux » vitupère mon voisin de derrière. Et de froisser le flyer de « Monsieur Fraize », comme s'il était assis sur des braises. Faut-dire que le one man show phare de cette ouverture de saison au CDOI repousse allègrement les limites du cynisme : tout le monde y passe, de la Réunion – république bananière de feignasses – aux caissières de supermarché forcément moches et adipeuses, sans oublier les noirs et les chômeurs, tous abrutis. Alors tranchons : faut-il brûler ce Fraize pour l'avoir trop ramenée ? Bongou se penche sur la question.
Monsieur Fraize est l'histoire d'un monumental ratage, qui prend à contre-pied toutes les conventions théâtrales. Avec un brio inégalable, le comédien fait avorter tout ce qu'un spectateur est en droit d'attendre de sa part : il saccage ses entrées comme ses sorties, propose une diction savamment indigente, sans parler de sa gestuelle. Il ne sait ni danser ni retenir un texte, et se taille comme costume de scène la veste d'un pitoyable ringard. Fraise sur le gâteau, il insulte copieusement son public.
Et pourtant, à l'exception des quelques traumatisés du second degré qui ont pris au pied de la lettre les provocations de ce zorey insolent, la salle s'esclaffe, en continu.
D'aucuns diraient que le gaillard surexploite les ressors du comique farcesque, étirant parfois la répétition jusqu'à l'usure. Que ceux qui ne pleuraient pas de rire après avoir entendu monsieur Fraize appeler son machiniste Michel pour la 74 ème fois depuis le début du spectacle me jettent la première pierre, j'en ferai un mur d'enceinte contre ses éventuels détracteurs.
Voilà un comédien qui, surfant sur la vague périlleuse de l'humour noir, dénonce avec un brillant dépouillement scénique nos pitoyables misères sociétales. Caricature autistique du mouton de la consommation, Fraize est une terrible incarnation du français moyen, qui jauge sa valeur et celle d'autrui en fonction de son pouvoir d'achat.
Son épopée du ballot en quête de Délichoc en promo ou encore celle de la caissière obèse dont le bras pendouillant passe sous le tapis roulant frise l'absurdité d'un Michaux ou d'un Kafka.
Dans un monde où l'homme se définit à l'aune de ses revenus, les clichés font office de loi. De là, les poncifs colonialistes et autres inepties racistes, dont Fraize montre avec un minimalisme éloquent, qu'ils prennent racine dans la bêtise.
Nonobstant quelques longueurs, ce show est férocement salvateur.
Zerbinette, avec la précieuse collaboration de Sébastien Marchal pour le crédit photo