TOTAL DANSE 2021 c’est presque terminé et Bongou s’est régalé avec cette intense édition, particulièrement riche en représentations déglinguées : The show must go on aux avis partagés et Mieux vaut partir d’un cliché que d’y arriver que Manzi a encensé. C’était sans compter sur le génialissime Work de Claudio Stellato, qu’on avait hâte de vous louanger mais qu’on ne voulait pas vous divulgâcher. Maintenant que la dernière est passée, on va se lâcher.
MANZI: Pas étonnant que l’équipe de Total Danse ait choisi le visuel de cette performance comme affiche de leur festival tant la bizarrerie de ces deux individus suscite l’envie. Ils m’avaient annoncé que j’allais adorer et les bougres m’ont bien cerné. C’est exactement le genre de prestation que je recherche lors de mes pérégrinations. Impulsif mais imaginatif, extravagant mais bidonnant, chaotique mais méthodique, régressif mais jouissif, … Je vais arrêter ici ma liste d’adjectifs pour me garder deux-trois superlatifs si tu t’avises de tempérer mon emballement communicatif. Franchement, immaculée Zerbi, on en a vu de toutes les couleurs ?
ZERBINETTE : Une chose est sûre, ces quatre hurluberlus sont le cauchemar de tous les bricoleurs méticuleux, mais un régal régressif pour les autres. Pour le comprendre, choisis quatre outils dans la caisse imaginaire commune, ignore farouchement toutes les recommandations liées à leur usage, et tu auras une vague idée de ce tonitruant atelier, où tout finit par déborder. Avec les marteaux, on tape comme un sonné pour se clouer les pieds, les agrafeuses deviennent instruments de crucifixion, tandis que les pistolets dégobillent de la peinture, orchestrant le ballet des salissures. J’y ai vu une réflexion anticonformiste, ode au surréalisme, mais tu ne partages pas mon interprétation. Comment comprends-tu cette anarchie au rayon outils ?
MANZI : Pour ce genre de prestation, j’avoue que je mets en berne ma réflexion même si certains peuvent y déceler une allégorie franchement golri de l’espèce humaine avec son pouvoir d’autodestruction et sa capacité d’adaptation. Je te rejoins complètement sur la dimension dadaïste de ces actions même si l’appellation « cirque » a pu dérouter certaines familles, peu familiarisées à l’absurde. Work, c’est la rencontre incongrue de Charlie Chaplin et de David Lynch à Leroy Merlin. Le chaos proposé est une attraction circassienne totale avec une vraie tension liée à la gestion de la gravité, de l’humour avec des vols planés savamment exécutés par des clowns aliénés, de la poésie avec ce panneau peinturluré ondoyant et une ménagerie complètement zarbi. J’ai adoré la chronologie chromatique, très bien restituée ici par les superbes photographies de Gilles Presti. Après un début plutôt lent, qu’as-tu pensé de cette accélération dramaturgique complètement hystérique, digne des Chiens de Navarre option Arts Plastiques?
ZERBINETTE : Que c’était une regrettable idée de m’être assise au premier rang. J’ai passé mon temps à calculer les distances qui me séparaient des projections de clous, copeaux, peinture et ciment. C’était sans compter sur la maîtrise de ces rois du lancer sans raté, et ça m’a épatée. Sacrée acmé. Plus encore que le rythme, c’est la portée comique qui m’a touchée. L’acharnement dans l’accomplissement de tâches répétitives, et dépourvues de sens. L’exagération jusqu’au fiasco, qu’on finit par trouver beau. Bref, un spectacle aussi inquiétant qu’épatant. T’en dis autant ?
MANZI: Pour te rassurer, la peinture c’était de la gouache et le ciment de l’argile 100% naturelle, comme la fibre de ton sarouel. Les seules personnes ayant le droit de détester cette performance sont les hommes chargés de nettoyer ce capharnaüm, à qui l’on dédie ce pensum. Personnellement, le feu d’artifice comique et esthétique proposé par Claudio Stellato à Stella Matutina restera bien perché dans le firmament de mes divertissements les plus retentissants.