Hier, c’était soirée #sorstonado pour Bongou, à l’Auditorium Pierre Roselli du Musée Stella Matutina. « Désobéir », la pièce de Julie Berès programmée par le Séchoir avait tout pour séduire nos rejetons abouliques : titre impertinent, visuel féministe, casting musclé. Côté parent, mon enthousiasme était moins prégnant. Je craignais autant un vlog à la Diam’s, sauce Woke ; qu’une Nuit de feu de Pascal, version Tik Tok. Quel choc : la pièce est un magistral coup d’estoc.
ZERBINETTE : Que dire de ce bijou. Désobéir est un quatuor à quatre corps vibrants. Une polyphonie à travers laquelle les jeunes femmes se racontent. Elles nous parlent de la construction d’un trauma, et du retour à la lumière. De l’oppression familiale, patriarcale, religieuse. De la manière dont toujours, on se libère. Le tout construit comme un patchwork mêlant chants, danses, parodie sociétale et pastiche littéraire. Hilarant, fracassant, dérangeant. La pièce s’ouvre Andante par le témoignage d’une jeune femme voilée. Son visage, face public, est également projeté derrière elle, sur un panneau noir. La Rebeu se fait Piéta, par le truchement d’une caméra. La scéno magnifie la pureté du propos. Premier instant de grâce, on craint qu’il ne trépasse. Alors Julie Berès la Maestro bouscule le tempo. Qu’as-tu pensé de ce rythme ébouriffant, cher Manzi qui t’endors souvent ?
MANZI : Tu fais bien de parler du rythme car le premier témoignage que tu as fort bien décrit m’a quand même fait redouter un simple enchaînement de prises de parole face public. Or, il n’en fut rien et la vitalité de cette pièce se révèle quand, rapidement, les quatre protagonistes interagissent et se prennent le bec. C’est féministe, bordélique, d’actualité, militant, sombre et éclairé. Surtout, ça sonne vrai. L’une des forces de ce spectacle est de proposer des dialogues, extraits d’entretiens réalisés dans les quartiers d’Aubervilliers, splendidement interprétés qui réveillent les plus âgés et apostrophent le public adolescent. Bref, du vrai théâtre social et engagé qui sait s’endimancher. Justement, qu’as-tu pensé de la mise en scène, chère Zerbi l’amatrice d’artifices ?
ZERBINETTE : Ça partait mal. Public éclairé comme au théâtre forum, sol nu, panneaux noirs. Une scéno plus broke que Brook pour les premières minutes. Jusqu’à ce que la magie des déplacements plateau fassent trembler la sono. Jusqu’à ce que le tapis s’ouvre comme la Mer Rouge, découvrant la surface miroitante d’une oasis aux allures de ring où les comptes se règlent à coups de déhanchés, de mots hachés, d’échos parodiés de la société. Une sémillante épopée.
Sans oublier les courtes séquences vidéo d’une Afrique désenchantée, projetant le discours glaçant de Sarko que tu as reconnu tout de go. Ou celui d’Arnolphe, renvoyant Molière à l’école de Beauvoir s’acheter un deuxième sexe. Et la littérature de perdre ses complexes. En bref, une myriade de tableaux intelligents, et souvent surprenants. Qui m’ont évoqué un chœur antique revisitant nos contradictions. Révélées par le décalage entre la chorégraphie, parodiant l’érotique féminité et le propos engagé. Reste que j’ai été séduite par ces artistes totales aux multiples talents. Qu’as-tu pensé du combo jeu/danse/chants ?
MANZI : J’en pense que Julie Bérès a su influer un humour à toutes ces disciplines conjuguées et ce décalage apporte du piment aux saynètes. Sur le fond, les points de vue sont affutés et la forme apporte un vrai sentiment de liberté, de révolte et de positivité. Ce traitement profond et optimiste me rappelle l’énergie de la pièce d’Ahmed Madani « Incandescences ». Tout ce que tu as décrit était vraiment enthousiasmant visuellement et percutant humainement grâce à ce maillage de disciplines et de talents. Un seul tableau m’a moins convaincu lorsque ces jeunes femmes « sévèrement burnées » débattent sur le port du hijab façon cours de récré. Les arguments de chacune sont touchants et éloquents mais on bascule vers un théâtre forum plus brut et convenu. Au niveau local, j’aimerais tellement que quelqu’un s’empare de cette thématique de l’adolescence pour proposer ce genre de théâtre social, remuant, esthétique et positif… Pour conclure, mon fils et moi-même recommandons chaudement cette pièce (dernière représentation mardi 7 février au Théâtre Luc Donat) et attendons impatiemment le prochain opus de Julie Bérès, le 27 et 28 avril au Téat Champ Fleuri.
ZEBINETTE: Raphaëlle Simon, Julie Grelet, Juliette Desserprit, Anael Azeroual. 4 femmes et un enterrement : celui des clichés sur la féminité. Olympe de Gouges guillotinée aurait savouré l’avancée. Coup de coeur de rentrée de mon côté.