MON SORCIER BIEN-AIMÉ ?

Après la compagnie Les Cambrioleurs – Julie Bérès et son enthousiasmant Désobéir, une autre jeune compagnie, Munstrum Théâtre, vient présenter Les Possédés d’Illfurth sur les planches réunionnaises. Et fichtre comme c’est rafraîchissant ! Clairement plus que cette interjection. Ayant vu cette dernière pièce mardi au Centre Culturel Lucet Langenier, c’est moi qui me suis chargé du chapô et j’étais persuadé que Zerbi, présente à la représentation de vendredi au Téat Champ Fleuri, allait se fendre d’un magistral coup de chapeau. Spoiler: j’avais tout faux.

© Jean-Louis Fernandez

MANZI: Ce seul-en-scène de Lionel Lingelser est virtuose, déjà par le talent inouï et l’énergie folle du comédien. Cette prouesse d’interprétation archi démonstrative n’a pas suffi à m’embarquer de suite car les échanges entre ce metteur en scène pédantesque, donneur de leçons et Hélios, l’avatar fébrile cherchant son Duende me semblaient déjà entendus et distendus. En revanche, quand il incarne cette ribambelle de personnages biographiques ou fictifs, c’est un feu d’artifice d’émotions contradictoires. On rit beaucoup avec sa maman masseuse farcie au patchouli, le curé alsacien apprenti exorciseur et paillard renifleur ou encore la Vierge Marie sous ecstasy. En revanche, il fallait ressentir le silence pesant de la salle lors des témoignages bouleversants de l’enfant incontinent, des allusions balourdes du paternel ou la dépossession de son corps par Bastien, un camarade du club de basket. Manier l’autofiction avec ce thème de la possession, convoquer ses démons pour trouver ses propres solutions, ça remue forcément, non ?

© Jean-Louis Fernandez

ZERBINETTE: Non. Pour reprendre les mots de ChatGPT à qui tu as demandé d’écrire un avis négatif sur Les possédés d’Illfurth, à la façon de Zerbinette de Bongou : « Je n’ai jamais vu un spectacle aussi ennuyeux. Si vous voulez perdre deux heures de votre vie, allez voir la pièce. Sinon, épargnez-vous la douleur et restez chez vous. » Les possédés d’Illfurth, c’est l’histoire d’une mise en abîme. Il était une fois un comédien qui voulait nous montrer tous ses talents. Sous couvert de se plier aux ordres d’un metteur en scène tristement caricatural, il s’exhibe : à lui seul tous les personnages. Le voilà qui saute du pathos au lyrique, gesticulant, rampant, singeant, imitant des accents. Fatigant et surtout navrant, parce qu’on ne ressent rien d’autre que cette volonté, gratuite, de nous étourdir. Actors studio, or not Actors studio, telle semble la problématique scénique à laquelle il nous convie. Explorant son enfance, il nous abreuve de scènes de la vie de province pleines de clichés. C’est décousu, surjoué et surfait. Toi, tu as été séduit par le dénuement de la mise en scène. Hâte de te contredire sur ce thème.

© Jean-Louis Fernandez

MANZI: Pour tenter de réveiller les démons intérieurs d’Hélios. le tyrannique metteur-en-scène utilise cette citation « le théâtre, ce n’est pas que du texte, sinon, c’est de la littérature en costume. » En tant que spectateur, j’ajouterai que le théâtre c’est aussi des éclairages. Si cette pièce est un modèle de simplicité en termes de décor et de costumes (une pauvre cape, un tambourin et une couronne en carton), le travail de la lumière est exemplaire et l’on bascule immédiatement dans les différents univers. Les gestuelles millimétrées du comédien sont un ravissement de tous les instants et les changements d’ambiance s’opèrent en un tour de main. Le numéro de pantomime dans la boîte de nuit des enfers (pléonasme) est sûrement le climax de la pièce : l’enchaînement métronomique des mimiques procure un jouissif emballement cardiaque sans artifice stroboscopique.

© Jean-Louis Fernandez

ZERBINETTE: Pitié ! Ton climax fut mon bagne. Ce jeu illustratif m’a horripilée, fut-il nimbé de fumées. Pour mimer le diable, le comédien dresse deux index cornus au dessus de sa tête, voix caverneuse comprise. Puis vient le tour de la Vierge Marie, et on a droit à la main en auréole au dessus de son crâne. Une heure vingt de Times up, et adieu les subtilités. Reste l’évocation des sévices sexuels subis par le protagoniste, dont je n’ai su que faire. Ce trauma jeté en pâture sans l’armure de la fiction m’a fait l’effet d’une prise d’otage psychologique. Après avoir vu le sublime seul en scène de Solal Bouloudnine : « La fin du début », au CDNOI hier, dont beaucoup de problématiques étaient similaires, je crois avoir compris ce qui manquait à ce possédé. D’avoir transmis l’absurde poésie de la vie. Et bien sûr, tu n’es pas de mon avis…

MANZI: En effet, je recommande vivement cette pièce car elle débute comme une explosive performance d’acteur et se mue en quête personnelle complexe mais intelligible grâce à l’entremêlement de superstitions et d’intimes considérations. Ou comment l’art peut s’avérer cathartique pour un comédien et éclairant pour les spectateurs présents.

ZERBINETTE: Cher lecteur de Bongou, je n’ai ressenti aucune émotion au cours de cette prestation. L’armada déployée pour nous faire vibrer a tué le désir de comprendre le propos. Pas de brio, mais un coup d’épée dans l’eau.