LIGNES DE FAILLE(S)

Un jour, Bongou, qui se promène sur la toile, tombe sur un cliché goûtu. Sur la page Instagram du photographe, un pseudo curieux : « Le paon atypique », assorti d’une bio alléchante : « Symbole plumé du narcissisme, nuisible quand il s’impose mais indispensable à un regard plus doux envers soi, tel un funambule entre être et paraître. » La surprise est grande, lorsqu’on croise par hasard ce drôle d’oiseau au Teat Plein Air. Ce jeune barbu, psychiatre de son état et fort sympathique au demeurant accepte une interview. Voici donc ses délicieuses réponses à notre questionnaire fourre-tout...

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Comment es-tu venu à la photo?

J’ai 26 ans, et je découvre la photo au cours d’un séjour à la M.E.P ( Maison Européenne de la Photographie) à Paris. J’ai alors un attrait à la fois pour le travail de Raymond Depardon, un photojournaliste dont le travail sur la psychiatrie me parle tout particulièrement, et d’autre part pour Robert Mapplethorpe dont j’aime l’approche très stylisée sur le corps en noir et blanc.

Alors tu te lances ...

Oui. Je commence par faire des photos dans la rue, à Bordeaux. J’essaie de capturer des attitudes, des regards...Puis, plus tard, je pars à La Réunion avec un Reflex. Mais c’est plus difficile. Aller vers les gens me gêne. D’abord parce que je ne parle pas créole. Ensuite parce que je n’aime pas le côté touriste intrusif. Donc je me mets à la photo de famille. À la naissance de mon premier enfant, je fais du portrait. J’essaie de saisir des émotions et des interactions.

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Tes clichés sont extrêmement esthétiques, mais tu y ajoutes une dimension inquiétante, insolite...Comment s’est opéré ce glissement ? 

Au début, je m’attachais à la réalisation de photos où primait l’esthétisme, le beau. Sans doute parce que cette beauté me rassurait. Et que je me disais qu’il ne fallait surtout pas déranger. Depuis deux ans, je m’attaque à ce vernis. J’ai compris que l’esthétique seule, n’est pas grand chose. Je détruis donc cette image du paon, de la recherche de perfection...Le déplacement de l’esthétisme seul vers du signifiant correspond à mon processus de maturation.

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D’où ce détail qui questionne, souvent, dans tes photos...

Oui. Il ajoute une dimension symbolique. Mais parfois, je rechute ! (Rires) Je veux juste du beau. Alors je me rappelle du mécanisme en oeuvre : on ne remplit pas une faille avec le beau. Pour sublimer la faille, il faut déjà l’accepter. Ce détail apporte alors un peu de substance à la photo, tandis qu’on se perd, à donner juste une image de soi.

D’où te viennent les idées de mise en scène, quel est ton processus de création? 

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Je pars souvent d’objets que j’ai envie d’utiliser. Ou de matériaux qui me tentent ou d’une thématique. Mais je n’aime pas les sujets trop graves. La photo telle que je la conçois doit rester un moment de plaisir. Avant, j’avais une fascination pour la gravité, elle s’est estompée quand j’ai dû m’y frotter au cours de mes études de psychiatrie.

Tu acceptes de livrer tes secrets techniques ? 

Je fais de la photo numérique, 90% de lightroom, je retravaille la lumière et la couleur bien sûr. Et parfois, j’utilise un peu Photoshop, comme pour cette photo où l’on voit les jambes de ma femme ...Pour laquelle je me suis très clairement inspiré du travail de Guy Bourdin, le spécialiste en la matière.

Ton maître absolu en photo ? 

Ah... ( soupirs, puis il me montre un tatouage sur l’envers de son avant-bras) Gilbert Garcin. Il fait de la photo conceptuelle. Souvent, il traite de la thématique du couple. Ses photos sont fabuleuses, et ses titres sont percutants. 

Ton interdit absolu en photo ? 

Je refuse les photos qui ne signifient rien, ou les photos dont l’intention est d’user de manipulation. 

Une anecdote particulière au sujet d’un cliché...

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Pour la série intitulée « discorde passagère », qui parle des relations de couple fusionnelles, nous partons au Port, sur la jetée. J’utilise un mannequin prêté par une boutique. Et voilà qu’il tombe entre les blocs de béton. Soit six mètres en dessous de nous. Hors de question que je ne restitue pas le matériel prêté... Je suis donc descendu le chercher. Il est sain et sauf...

Tu shootes à la Réunion, mais l’exotisme n’est jamais présent dans ton travail ...

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Effectivement. Parce que l’objectif pour moi, c’est de faire parler une symbolique. Mes photos sont des outils projectifs. Je choisis donc un environnement le plus épuré possible, pour que l’œil se concentre sur des choses signifiantes. Peu importe le lieu. Le travail doit chercher une forme d’universalité.

Ton prochain projet fou ? 

Faire des photos avec beaucoup de ficelles (rires) Je veux parler du lien, de la filiation. Du retour aux sources. Pour éviter de se perdre...

Et enfin, notre question con : tes conseils, pour une photo de bon goût?

Ah... Si vous cherchez le bon goût, surtout, ne faites pas de photo ! 

Propos recueillis par Zerbinette grâce à la participation du talentueux Jean-Baptiste Valiente-Moro, dont tu retrouveras les fabuleuses photos sur la page Instagram : le_paon _atypique