(S)LAME DE FOND

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Mais que s'est-il donc passé hier soir sur la petite scène Badamier du Teat Plein Air ? Loubaki et Scor-P n'avaient pas encore fait leur entrée que déjà les programmes les encensaient  : « figures du slam en France », « activistes de la parole », « poètes dont l'ambition est de partir du mot pour mettre en exergue toute son ampleur », protégés de Grand Corps Malade ; et enfin pour Loubaki, « formateur d'éloquence au sein du concours Eloquentia ». Rien que ça. Amère désillusion pour ce voyage en pleine confusion. 

Loubaki et Scor-P sont deux jeunes des cités que la poésie a fait évoluer. Ok. De Saint-Denis, ils soignent le cliché : baskets griffées, démarche chaloupée, hobbies chauvins, OM contre PSG. Glorification de leur amitié dans ce tandem contrasté. À Loubaki la gouaille, à Scor-P de piquer. Parfois ça le fait. 

Pour chauffer la salle, Loubaki tente un trio de vannes qui annoncent déjà la panne. Une saillie sans brio sur Brigitte Bardot, une blagounette sur la météo réunionnaise suivie d'une description niaise : contenu de sa valise et autres fadaises. Enfin, ode au public ici présent, tellement lourde et convenue que déjà, je tombe des nues. Où sont les maitres du langage dont le ramage magnifie le plumage ? 

C'est alors que le duo se saisit des micros. Et là, c'est le fiasco. Parce qu'en plus, ils chantent faux. En deux temps trois couplets,  les compères troublés accumulent les avanies : côté fond, les paroles sont creuses, et les thèmes bidon. La chanson phare « France amour » déballe une psychologie de comptoir « France qui rit, ou France qui pleure » construite sur des procédés stylistiques rudimentaires. Pluie d'anaphore et d'antithèses pour une chute molle « France amour, voici mon french kiss »  de la parole.

Côté forme, on multiplie les offenses à l'oreille, même, et c'est plus grave, lorsque la voix est parlée : diction souvent calamiteuse pour des slameurs censés soigner l'articulation, trous de mémoire à profusion, coordination apocalyptique, les artistes s'attendent ou se coupent la parole, et la chorégraphie de karaoké ne vient rien arranger.

Après quelques chansons donc, ils quittent la scène sans préavis. À ce moment précis, j'ai vraiment cru que le spectacle s'interrompait. Ça m'a soulagée. Il m'est cruel de voir des artistes ramer. J'ai pensé au stress, à la chaleur, à l'intoxication alimentaire, au changement d'air. Le temps de lister les circonstances atténuantes, ils étaient là, fringues rutilantes. Retour au bal des débutantes.

La suite a confirmé le crash d'une pensée formatée, où le prisme de la cité empêche toute envolée parce que les slameurs s'empêtrent dans leurs clichés. Le concert s'achève par une tentative de flash mob, Loubaki peinant à faire monter sur scène un public d'ados. Encore au premier rang, je me retrouve sur le plateau, agitant mollement les bras. Je pense à Vincent Roca, à Grand Corps Malade, à Ciceron et sa rhetorica. Et j'essaie de me souvenir de ce qu'était l'éloquentia.

Zerbinette