Trois indiens dans la ville. Ou plus exactement sur le parking du Séchoir, qui nous rassemblent autour d'un bas-côté. Des frontières sont tracées au ruban de signalisation. À nos pieds, en guest star de ce trio de verts: Gaïa, la terre. Avis contrasté sur ce show plus bobo qu'anarcho.
France Profonde. Dans l'imaginaire collectif, déjà tout un programme. Voilà un titre de spectacle qui draine derrière lui son lot de boueux clichés. Peu réjouissant pour le monde agricole. La France profonde, c'est le pays des bouseux, imperméables au raffinement des arts, au progrès social, à l'avenir glorieux. Une France d'en-bas qui plus que jamais souffre d'un mépris emblématique. Le respect des aieux pour la terre nourricière n'est plus ce qu'il était braves gens. Si tu l'ignorais, les trublions de La grosse situation entendent bien te mettre le nez dans le purin.
Immersion dans le cochon
Incarnant tour à tour les différents protagonistes de la communauté agricole, les acteurs te proposent une immersion polyphonique dans cet univers malmené. Au début du moins, point de pathos pour évoquer les drames de la paysannerie. Le curseur est plutôt placé vers l'autodérision foutrarque. Et jusque-là j'embarque.
Les tableaux se succèdent à bon rythme, et chacun en prend pour son grade. Du quidam qui résume la ruralité à L'amour est dans le pré, aux gosses du lycée agricole en mal d'estime d'eux-même, en passant par les ancêtres, crevant de n'avoir su transmettre cet amour de la terre, tout le monde trinque. Côté politiques et mondialisation, le salon de l'agriculture aseptise le gigot pour les parigots faussement écolos . Le spectateur voyage en pleine déconfiture. Sauf les bobos bouffeurs de bio curieusement épargnés dans le tableau. Au plus deux allusions, qui ne les égratignent pas trop.
Entre théâtre ambulatoire participatif et documentaire, le show est mené tambour battant. Les mises en abyme ; les acteurs incarnant tantôt les protagonistes du monde agricole, tantôt leur propre rôle, permettent une distanciation comique et didactique. Si les acteurs se demandent comment dénoncer la banqueroute rurale, le spectateur se demande s'il peut redevenir acteur et empêcher la mise en bière de la terre. La pièce opère en continu de salutaires glissements de terrains. Jusque là tout va bien. Ajoutons que les interprètes sont bons, et qu'on rigole franchement dans les travées. Pas gagné pour un public peu habitué aux feux de la rampe. Coup de chapeau au Séchoir qui a su amener au théâtre les habitants de Dos d'âne, et les gosses du lycée agricole de Saint Jo, tous ravis du scénario.
Ras les bottes
Côté scéno, on a travaillé dur sur la notion de frontières. Des bottes d'agriculteurs glanées au cours des rencontres de la compagnie, dans le Mordor, délimitent la piste aux étoiles de ce cirque rural. Mais lorsque les acteurs entreprennent de déplacer plus de trente paires au centre du plateau, pour raconter l'histoire de leur proprio, on vire dingo. L'hommage est fastidieux et démago. L'immersion dans le terroir prend des couleurs ostentatoires. C'est gentillet comme au club Mickey.
La scène finale, sur fond d'aube à Notre dame des landes, où les vaillants zadistes rampent fleur au fusil frôle l'angélisme. Et voilà une pièce qui perd son potentiel corrosif par excès d'explosifs.
Zerbinette