Head Rush. Littéralement : ruée vers la tête. Métaphoriquement « Corps Urgents », ou le deuxième volet de la création de danse contemporaine de Soraya Thomas, dédié à l'exploration des dépendances. On pouvait craindre que la noirceur de la thématique ne plombe la création jusqu'à saturation. Il n'en est rien. Récit d'un envoûtement, à corps défendant.
Ils tombent, descendent la pente plus souvent qu'ils ne la remontent, s'étouffent, prisonniers d'une toile opalescente, se meurent et se rattrapent, perdent pied, trébuchent et s'épuisent. Pour évoquer la souffrance des corps qui luttent, Thomas imagine une mise en scène sobre mais efficace. Nombreux sont les obstacles qui empêchent les danseurs d'évoluer, les ramenant sans cesse à la faille intérieure.
Les nuances chromatiques, d'abord, évoquent l'enfermement dans un univers sans lumière. Plateau noir, vêtements gris, éclairages blafards ou nocturnes installent le spectateur dans la douleur.
Le plateau inclinable ensuite, pente métaphorique sur laquelle les danseurs évoluent dans l'enchevêtrement des corps, est un espace semé d'embuches. Muraille ou précipice, il est percé de trappes comme autant de caveaux.
Reste la musique D'Automat, qui déploie sa lente agonie, appuyant majestueusement leur décadence.
Au delà des trouvailles scéniques qui fonctionnent, on se réjouit de constater une évolution dans le travail de la chorégraphe. Le temps de l'hermétisme semble dépassé. L'heure est à la lenteur, presque sensuelle.
Soraya Thomas, Thabo Kobeli et Nicholas Aphane accomplissent, au delà de la performance physique, un saisissant travail d'interprétation. L'épreuve se lit jusque sur les visages qui sans cesse mobiles racontent le manque sans ostentation. Ou l'universelle urgence du corps lorsque la tête affolée ne rencontre plus l'apaisement.
Certes, le travail de Thomas s'appuie sur une solide observation du réel, puisque la chorégraphe a dirigé, en marge de cette création, des ateliers dansés, au CHU de Bellepierre, avec des personnes en situation d'addiction. À cet égard, le court documentaire de Romain Philippon présenté en marge de la représentation est d'une fascinante beauté. Filmant ces ateliers thérapeutiques en gros plan, captivé par ces gueules abimées, Philippon donne à voir à travers la transe du corps, autant de résurrections.
” Je ne pourrais croire qu'en un dieu qui saurait danser.”, disait Nietzsche. Un art dont Soraya Thomas prouve, avec beaucoup d'humanité, qu'il est à la portée de tous.
Zerbinette
À voir mardi 20 février à 20 H au Théâtre Luc Donat