Hier soir à l’Auditorium Pierre Roselli de Stella Matutina, Manzi n’avait qu’un œil, et moi 5 mois d’abstinence culturelle. Autant dire que nous formions le tandem parfait pour assister à Parbleu, duo de faux bras cassés versant dans le cirque de l’absurde. Poétique, mélancolique et parfois suranné, le spectacle valait qu’on se fende d’un papier.
ZERBINETTE : Profitant du décollement de rétine de mon camarade (dû à un éblouissement culturel), qui l’empêche de lire cette introduction, je vous livre en toute impunité, chers Bongousiens, mon interprétation de Parbleu. J’ai lu, dans ces tournoiements répétés de planches, marteaux, boules de pétanque, une métaphore de la vanité. Dans ce spectacle, tous les mouvements tendent à l’impossibilité. Jean Paul Lefeuvre et Didier André déploient une énergie douloureuse à faire exister l’inutile, sautant des barrières imaginaires, multipliant contorsions et complications sur un terrain de jeu qui les éloigne souvent. Le cirque me rend mélancolique, je suis sortie de Parbleu pas loin d’avoir les larmes aux yeux. Et toi l’estropié, ton pansement t’a t il empêché de pleurer ?
MANZI : Désolé, pas mes lunette pour mon oeil droite, peux patte lire, suis au Labardock et y’a un vieux guitarisque qui menace de quitter la scène s’il recoit en core un flash dans saface de bluesman cataractériel. Je vais lui filer ma compresse post_operatoire, li fera moins le malin le ricain
ZERBINETTE : Je poursuis donc, attendant demain ton verdict circassien. Les plages musicales sont une grande réussite dans ce spectacle, tout comme les performances acrobatiques. J’ai souvent retenu mon souffle, par exemple lorsque j’ai pu identifier le thème du parrain, joué à la truelle contre une scie, ou encore lorsque Lefeuvre, en équilibre entre deux planches, nous offre la séance de gainage la plus douloureuse de l’histoire de l’ouest, sans flancher ni trembler. Que dire de ces immersions poétiques, prolongées par les mimiques, où la danse des corps remplace les mots.
Un bémol cependant dans l’agencement des numéros, en fin de partie, il m’a semblé qu’on perdait un peu le tempo. J’ai regretté Work, de Claudio Stellato, vu à Stella Matutina également, et son final aussi dégoulinant que truculent. Qu’as tu pensé de ces bouts de ficelle, pour clôturer le règne des grandioses truelles ?
MANZI: C’est dimanche et enfin ma cornée se rebranche. Vendredi soir, si j’ai bravé mon interdit post-opératoire, c’est parce que j’étais sûr que cette proposition allait m’éviter le cafard. Le public semblait conquis (standing-ovation les amis), la mission a été parfaitement accomplie par ces “as des as” de la manipulation d’objets et je fus étonné que ce spectacle t’ait procuré ce sentiment bizarre. Je trouve toujours enrichissant de lire tes interprétations alors que je n’ai cherché aucune intention à ces différentes manipulations. Je connaissais le travail de Lefeuvre & André (notamment La Serre) et je reçois leurs gesticulations ou autres géniales inventions de façon tout à fait brute et enfantine. Je suis admiratif de ces deux fouineurs de greniers qui passent leur énergie à bidouiller toutes sortes d’objets jusqu’à obtenir un équilibre précaire, un son primaire et proposer des interactions poétiques, drôles et extraordinaires.
Si tu fais le bilan de cette heure récréative, tu pourras te rendre compte du nombre sidérant de trouvailles visuelles et sonores avec un matériel élémentaire. En revanche, je te rejoins sur le rythme, notamment les tableaux de jongleries avec les chapeaux. Déjà, cet objet est un outil de jonglerie plus traditionnel. L’on perd l’expression rudimentaire de l’espace scénique rectangulaire et sommaire pour basculer vers des numéros plus proches du Plus Grand Cabaret Du Monde. Surtout que cet art ingrat du jonglage ne supporte pas trop de ratages et que vendredi nous avons eu droit à quelques frustrants loupages. Les deux larrons ont trop de bouteille pour que la mécanique s’enraye mais je les préfère bricoleurs plutôt que jongleurs, inventifs plutôt que démonstratifs.
J’en arrive enfin à la réponse à ta question : au contraire, j’ai adoré ce final plus posé, moins déchaîné que leur version millimétrée de Hells Bells d’AC/DC. Cette esthétique correspond mieux à leur absurde poésie faite d’ingéniosité et de rusticité. Merci au Séchoir et à L’Atelier Lefeuvre & André pour ce moment et bravo pour l’ultime salut final, bruyant détournement de remerciements, toujours plombants.
Dernière représentation: Mardi 11 février au Téat Champ Fleuri à 19h