PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE
Je ne te ferai pas l’offense de résumer l’intrigue du Jeu de l’amour et du hasard, tant cette comédie de Marivaux écumée par tous les manuels scolaires a achevé de nous bassiner. Si néanmoins tu veux un résumé vite fait, cette pièce raconte l’histoire d’une fille à papa qui a décidé de se mettre dans la peau de sa femme de chambre pour connaître la vraie valeur de l’élu de son coeur. Comme le futur époux a fait le même coup, on a deux couples et beaucoup de remous. Dans la série la compagnie Sakidi revisite les classiques, Lolita Tergémina et son équipe de fiers à bras m’avait déjà emballée avec son Tchekhov kréolisé. Restons sur cette lignée, son Marivaux m’a régalée.
SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO
Attention point faible, les décors et les costumes seront mon seul regret de la soirée. Sans avoir ancré la pièce dans la contemporanéité en proposant un décor modernisé, le plateau ressemble à un hall d’hôtel Ibis des années 80. Le blanc et le plastoc ; ça fait toc. Non aux pots de fleurs synthétiques, sus aux paravents blancs quoique dans l’idée, ils aient été bien exploités. Dans la même veine, les costumes ne remplissent pas leur fonction. Sans nous renseigner sur le parti pris d’une époque ou d’une classe sociale, ils affadissent les deux superbes comédiennes que sont Agnes Bertille et Lolita Tergémina, un exploit qui est un scandale en soi. Enfin, côté bande son, l’enregistrement n’est pas bon. Les envolées classiques pénalisées par cette mauvaise acoustique gâchent un peu le plaisir du fourmillement génial des déplacements.
ET CES COMÉDIENS, ILS ÉTAIENT BIEN ?
Coup de cœur généralisé dans l’assemblée pour le quatuor en or formé par Agnès Bertille, Lolita Tergémina, David Erudel, et Daniel Léocadie. À leurs côtés, Alex Gador et Stephane Payet n’ont pas démérité, mais il était difficile d’être au niveau de ces monstres du plateau. Agnès Bertille, en sale gosse gâtée a mené en bateau son Léocadie avec brio. Lequel, parfait en amoureux transi, nous a régalés par ses airs empotés et sa diction empesée. Le duo Erudel Tergémina était un délice en soi. Les inénarrables mimiques d’Erudel ont engendré dans les travées une joie farcesque. Tergémina, en diablesse effrontée, faussement offusquée lui tenait la dragée haute pour un parcours sans faute.
CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER
Coup de chapeau à Lolita Tergémina et son équipe, pour le titanesque travail de traduction. Avoir réussi à respecter les différents niveaux de langue écrits par Marivaux pour distinguer les classes sociales dans cette comédie faussement progressiste est un défi à saluer bien bas. Léocadie en Yab salon nous fait entendre un kréol soutenu qui fait tomber Silvia des nues. Le verbiage des valets, met à l’honneur adages populaires et métaphores pas piquées des vers. Je me dis que si la zorey que je suis s’est marrée, mes voisins créoles eux jubilaient.
T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI
J’ai adoré. Dans une salle pleine à craquer, Sakidi a réussi le pari de nous faire renouer avec une comédie qui en sort ragaillardie. La vivacité du jeu a installé un tempo crescendo, les comédiens avaient le diable dans la peau. Jamais d’ennui, une géniale énergie, et un détail avant le tomber de rideau qui en dit long sur Marivaux. On a beau faire jouer le hasard, les mots trahissent à notre insu la classe dont on est issu. Lisette, s’écartant de la noce pour la scène finale montre qu’elle n’est pas dupée par l’hypocrisie des plus huppés. Un clin d’œil dramaturgique qui justifie d’être dithyrambique.
Zerbinette