Après Ann O'Aro, Saut' la mer à l'envers, pièce dansée, est le deuxième projet porté par Békali, dispositif de soutien à la création réunionnaise sur les territoires de l'Ouest. Île était une fois une réussite collective qui mérite mon soutien critique.
Le K, vendredi27 octobre, 20h15, premier tableau : un tigre solitaire traverse la scène de gauche à droite dans une ambiance de clapotis. C'est évidemment une projection vidéo mais le minimalisme du procédé est terriblement efficace et nous immerge d'emblée dans un « ailleurs » contemplatif et interrogatif. L'utilisation intermittente de la vidéo accompagne subtilement la narration en l'illustrant de façon onirique ou comique. Ce médium n'est jamais un procédé totémique mais un vrai artifice suggestif. Ces images animées complètent la musique jouée en live par Ismaël Colombani (du groupe Sage Comme Des Sauvages) tantôt dans l'ombre tantôt dans la lumière. Multi-instrumentiste, il propose des envolées nomades dans une novlangue déboussolée assurant lui-même les boucles de ses instruments à corde ou à percussions qui emportent cette réflexion sur l'exil vers des horizons nébuleux et savoureux.
C'est là toute la force de ce projet du Collectif LOOKATMEKID : parler d'une expérience intérieure et en extraire des sensations qui parlent à tout un chacun.
Marion Schrotzenberg, qui a grandi dans la ville du Port avant de s'expatrier, aurait pu tomber dans un propos nombriliste sur son retour insulaire, son attachement à sa ville, à sa grand-mère mais l'univers scénique composite ne tombe jamais dans la facilité. Trop de compagnies apposent la mention « protéiforme » à leur travail mais l'assemblage n'est pas toujours digeste ou alors vu et revu. Je sais de quoi je parle, je viens de m'infliger une pièce de cet acabit dans la semaine. Même quand l'auteure nous propose un témoignage enregistré de sa grand-mère portoise – le collectage est autant à la mode chez les metteurs en scène contemporains que le toilettage l'est chez les caniches saint gillois – l'intention n'est jamais ostentatoire et s'inscrit dans une pensée plus globale. J'y ai trouvé des similitudes avec le travail transversal de Philippe Katerine qui n'a pas son pareil pour aborder des sujets légers ou graves à travers ses chansons ou ses dessins faussement naïfs (« Ce que je sais de l'amour, ce que je sais de la mort » par exemple).
Et si le gosse Baster jouait à ghostbuster ?
J'encense, j'encense mais, hormis le choc visuel du félin, je dois reconnaître que le combo d'intro « propos philo sur le retour au pays combiné avec un solo chorégraphique proche du pantomime » m'a fait craindre une narration nombriliste et une structure un peu répétitive. Heureusement, les trouvailles visuelles (le lourd ballot qui se transforme en tente de fortune, l'invasion d'oranges, ...), le travail minutieux des lumières ou encore l'apparition de huit fantômes (spectres proches de l'univers de Hayao Miyazaki) accompagnent les mouvements avec une dramaturgie grandissante. L'hommage à la culture chinoise réunionnaise (assez rare dans les arts vivants à La Réunion) est folklorique mais s'intègre intelligemment au questionnement généalogique. Sans spoiler, je peux juste vous dire que cette petite forme démarre à deux interprètes mais intègre 18 personnes au plateau. Voilà un bel exemple de création participative, hybride et sensible qui s'empare d'une thématique intimiste sans bercer dans le passéisme.
Manzi
À voir le jeudi 15 et le vendredi 16 novembre à Lespas Leconte De Lisle