Bongou a tellement envie d'entendre les artistes réunionnais s'exprimer sur la récente actualité qu'il n'hésite pas à les harceler. L'auteur et comédien Daniel Léocadie, par pudeur, résistait. On a finalement reçu son papier. Que nous sommes fiers de le publier. En kréol et en français.
Difisil koz su sak i ariv a nou. Difisil fé aryèr po agard kosa la po espasé. Difisil pars' mwin la pa anvi, pa anvi agard dopi an lèr. Anvi plito èt dodan, gomé, rampli. Rampli la raz, rampli kontantman osi, rampli létoneman, rampli lespwar, rampli ziskatan débordeman. Déborde si na po débordé mé mi vé soizi kosa i déborde.
Mon kér lé partazé ant in gran fièrté é in kolèr. Konbyin de fwa nou la pa di ou pansé dann tréfon nout kèr « in zour va pété é sra vilin ». Bin kan la rivé té pa joli vréman dann promyé débu. Kasé brulé volé. Lo « Kanyar » la dékoné ! Ou pe pa brule zafer do moun. Kase zafer ta pa ou, vole la boutik koté ou. Ou pé pa ! Ou dwa pa ! Mé kan mi gard byin, kisa i pé dir, mwin noré pa fé parey si mwin lété dan lo minm situasyon ke li ?
Son moyin deksprésyon lé orlalwa an violans, mé kosa la aprann a li d'ote ? In violans visib fas in violans an misouk. Lo talion lé pa lwin. La kolèr an sakinn na son fason kozé.In lastik, si ou ral desu konm in marmay san konsians, li fini par kasé, mé pangar si ou la larg a li avan li pète, lo retour i pouak, é son tras i rest. Na in avan é in apré, do moun la soulevé, mi préfère dir do moun ke lo pèp, pars pa tout de moun lé dakor ek sa non pli. Ou pe pa dir na lo pèp in koté, lote koté kosa né na alors ?
Diktatir ?
Mi antann i koz nou lé dann in diktatir an frans. Le mo na son fors, na son sens, é pangar nou joué pa kont nou minm. In diktatir, noré pwin zilézone dann somin cé zèr si, noré pwin rézososyial internasyonal, noré pwin lo média po koz ek do moun et fé koz domoun. Noré fizi, noré lo san é apresa... lo silans. Noré été réglé. Pu inn debout. Pu inn po krié. Pu inn po barazé. Ala in diktatir. Pangar lo mo i pass dan nout kozé. Si lo moun i soulève i konsidèr a zot konm lo pèp é li zuz sak i soulève pa konm in maloki, a la in ote diktatir.
Lo pèp li kontyin toute kalité lopinion : sat lé pour sat lé kont, sat i atann vwar kosa son kamarad i fé, sat la pèr, sat i pé pa, sat i vé pa, tousala lo pèp. Aster na pwin lo pèp dann somin na domoun an takon, de tou bor, kréol, zorey, sinwa, malbar, yab, zamployé, fonksyonèr, patron, somèr, zartis, eksétéra tousala i ardovyin citoyen.
Par koman ? Lo boukémisèr.
Boukémisèr
Na touzour inn pa lwin, rèzman la lang na pwin lo zo sinonsa té fine kasé a forse tape si lo zorey, lo zarabe, lo sinwa, lo kréol, lo mahorais, lo comorien, lo zamployé komunal, lo fonksyonèr, lo somèr, lagricultèr. Aster antakon la tonm dakor po lo politik. A la le boukémisèr. A li minm la mèt nout tout dakor ou presk. Ryink po sa fo dire bravo. Té pa gagné. Mé mi oubli pa in nafer, « lo politik, si mwin lété dann lo minm situasyon ke li, èseké mwin noré fé in not manièr ? »
Pars oubli pa, zust avan mi fésé parey ek lo komorien, ek lo mahorais, ek lo kreol , ek lo zorey.. Nout ti pouvwar a not nivo èseki korompt pa nou? Sa lo pouvwar, sa in nafèr sa hein ! Pa in ta do moun lé pli for ke li ! Mé si in moun i anserv a li po sov band plu fèb alors nou lé sové. Lo kontrèr nou koné kwé i done aster. Aster in takon kestyon i prominn dan mon têt. Zilézone la foulefaya anlerla. Tan myé.
La fors du désespwar
In zarboutan sinwa, in sèf la guèr la di in zour : « mon larmé i giny toultan pars' mi lès toultan in lésapatwar po bann zénemi. Alors lo bann zenemi i pe ankor sov zot vi é zot i batay pi. Or si ou lès pa lésapatwar, lo bann zenemi na pi ryin po perde é ryin lé pli redoutab ke la fors du désespwar ».
Lo politik la po perd son batay pars domoun la po batay ek fors la. Na in takon na pi ryin po perd. É aprésa ?
Aprésa na war kwé i rest.
GILETS JAUNES
Il m'est difficile de parler de ce qui nous arrive. Difficile de prendre du recul pour observer ce qui est entrain de se passer. C'est difficile, car je n'ai pas envie, pas envie de prendre de la hauteur. J'ai plutôt envie d'être dedans, maculé, rempli. Rempli de rage, de joie aussi, d'étonnement, d'espoir, rempli jusqu'à déborder. Et si ça déborde je veux choisir de quoi.
Mon cœur est partagé entre une grande fierté et une colère. Combien de fois nous ne nous sommes pas dit ou nous n'avons pas pensé au plus profond de nous-mêmes « Un jour ça va péter, et ce ne sera pas joli ». Et bien quand c'est arrivé, au départ, il est vrai que ce n'était pas joli. Casser, brûler, piller. Le « Kanyar » a déconné. On ne peut pas brûler ni casser ce qui ne nous appartient pas, ni piller des commerces. On ne peut pas ! On ne doit pas ! Mais quand je regarde le kanyar, qui peut me dire que je n'aurais pas fait la même chose, si j'étais dans la même situation que lui.
Son moyen d'expression est hors la loi et violent, mais lui en a-t-on seulement appris d'autres ?Une violence visible face à une violence discrète. La loi du Talion n'est pas très loin. En chacun, la colère a sa propre expression. Si tu tends un élastique à la manière d'un enfant tête en l'air, il casse. Mais si tu as le malheur de le lâcher avant qu'il cède, son retour sera douloureux et marquant.
Il y a un avant et un après. De nombreuses personnes manifestent, je préfère dire de nombreuses personnes et non « le peuple », car il y a aussi ceux qui ne manifestent pas ou bien ne sont pas d'accord avec la forme ou le fond du mouvement. On ne peut pas dire « il y a le peuple d'un côté » car qu'y aurait-il de l'autre ? J'entends parfois dire qu'en France nous sommes dans une dictature. Les mots ont leur force, leur sens et prenons garde à ce qu'ils ne jouent pas contre nous.
Une dictature ?
Dans une dictature , il n'y aurait pas de Gilets jaunes dans les rues, il n'y aurait pas de réseaux sociaux internationaux, il n'y aurait pas de médias qui couvriraient l'événement et qui prendraient des témoignages des manifestants. Il y aurait des armes, du sang et ensuite... le silence. Tout aurait été réglé. Il n'y aurait eu plus aucune personne debout, plus personne pour crier, plus personne pour faire des barrages. Voilà une dictature. Prenons garde aux mots que nous utilisons.
De même, si les nombreuses personnes qui manifestent se considèrent comme le peuple et jugent les autres qui ne manifestent pas comme hors du peuple, c'est aussi une dictature. Le peuple contient en son sein toutes les opinions : les pour, les contre, ceux qui attendent de voir, ceux qui ont peur, ceux qui ne peuvent pas, ceux qui ne veulent pas, c'est tout cela le peuple. Donc il y a de nombreuses personnes qui manifestent, de tous bords : créoles, métropolitains, chinois, arabes, yabs, employés, fonctionnaires, patrons, chômeurs, artistes... en tant que Citoyens. Mais comment est-ce arrivé ?
Bouc émissaire
Le Bouc émissaire. Il y en a toujours un, pas loin : le métropolitain, l'arabe, le chinois, le créole, le mahorais, le comorien, l'employé communal, le fonctionnaire, le chômeur, l'agriculteur. Et maintenant nombreuses sont les personnes qui désignent ensemble le politique. Il nous a tous, ou presque, mis d'accord. Rien que pour ça il faut dire Bravo. Ce n'était pas gagné.
Mais je n'oublie pas une chose : si j'avais été dans la même situation que le politique, au fond, aurais-je fait différemment ?Car je n'oublie pas non plus ce que je faisais déjà avec le comorien , le mahorais, le métropolitain, le créole...Notre petit pouvoir, à notre niveau, n'est-il déjà pas suffisant pour nous corrompre ? Le pouvoir, c'est quand même quelque chose. Tout le monde ne peut pas se targuer d'être plus fort que lui. Mais il suffit d'une personne, qui s'en sert pour aider les plus faibles et nous sommes tous sauvés. En ce qui concerne le contraire nous savons à quoi nous en tenir. Ce mouvement me remue et m'interroge. Tant mieux !
La force du désespoir
Un ancien stratège de l'armée chinoise disait : ” Mon armée gagne toujours les batailles, car je laisse toujours un échappatoire à mes ennemis et ils peuvent encore sauver leur vie. Si il n'y a pas d'échappatoire, l'ennemi sait qu'il va mourir et n'a donc plus rien à perdre. Et rien n'est plus redoutable qu'un homme qui se bat avec la force du désespoir ».
Le politique est en train d'endurer une dure bataille car en face il y a la force du désespoir. Nombreux sont celles et ceux qui n'ont plus rien à perdre. Et après ?
Après, on verra ce qui reste.
Daniel Léocadie