VOUS REPRENDREZ BIEN UNE ARÊTE ?

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Après l'indigestion provoquée par Nuit de grève, grâce soit rendue au taulier qui nous propose de remettre le couvert avec un autre moyen métrage plus appétissant : Le Mafatais, d'Olivier Carrette. On ne va pas bouder le plat, cette fois-ci plutôt bien cuisiné : des paysages grandioses entre mer et montagne, nature et friches urbaines, un casting sauvage de non-professionnels, la cavale d'un héros en quête de liberté avec pour fond les mythes et les réalités de notre territoire. À table, donc !

Les premières images nous plongent dans une atmosphère lugubre : brume, froid, flou, un solitaire se réchauffe auprès d'un feu, dans la forêt, au cœur du cirque. Un animal inquiétant surgit, entre chien et loup, justement. La veine naturaliste est d'emblée mâtinée d'étrangeté, les sens mis aux aguets par un mélange de familiarité et d'inconnu. Plus tard, le littoral noir et déchiqueté, brûlant de soleil et saturé par le grondement vivant de l'océan n'offrira qu'un refuge précaire au héros sans nom: grotte creusée dans le basalte, terrier de fortune. La nature est hostile, écrin glacial et mystérieux ou étendues ardentes. La ville portuaire dans laquelle il échoue, déballe ses trottoirs à la revente de rapines et ses bars louches. Pêcher pour manger, voler pour survivre, boire pour le cœur, le fugitif est contraint de survivre dans un monde passéiste englué dans les fantasmes et la misère indépassable.

Le film est servi par une distribution réussie : Boris Lallemand incarne avec conviction et fougue ce personnage rebelle et farouche, il lâche ses mots ou les retient en tension, comme des coups. Les personnages secondaires sont tous convaincants à l'exception de la jeune fille dont le héros tombe amoureux, qui manque de rythme et de naturel. Une scène de tête à tête au bord d'une improbable piscine, de nuit, nous fait cependant oublier sa maladresse. Jeux de lumière intimistes, couleurs éclatantes des intérieurs, longs plans fixes, comme arrêtés sur les visages naïfs à peine sortis de l'enfance, perdus dans un rêve d'avenir heureux : la mise en scène statique et la rareté des dialogues suscitent l'émotion dans ce rare moment de répit, assez irréaliste.

Le Mafatais doit se voir avant tout comme un conte universel. On acceptera alors les personnages archétypaux et le schéma classique du récit qui nous entraine avec son héros dans la quête d'une impossible liberté. L'île, close sur elle-même en est le théâtre, et c'est moins sa réalité moderne qui est en jeu que des forces intemporelles ancrées dans un territoire travaillé par l'imaginaire. S'il manque à mon goût une scène finale capable de sceller le destin du héros, la fable naturaliste offre une esthétique cohérente et propose une lecture de l'île à l'image du monde où trouver un abri est devenu impossible.

Anabzl