SCAPIN MAGHRÉBIN

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Tout le monde connait Scapin. Mais c'est encore mieux quand Ahmed, son clone contemporain revient. L'urticant valet réinventé par le philosophe et dramaturge Alain Badiou arrive au CDNOI. Bongou a questionné le très sympathique Didier Galas, metteur en scène et interprète du débonnaire trublion. Qui n'a pas peur de diviser l'opinion. Voici Ahmed, ou le peuple en action. 

LA QUESTION BATEAU

D'après vous, pourquoi la figure du valet de comédie a encore autant de succès ?

Eh bien dans notre monde contemporain,  le valet de comédie, comme Scapin, incarne la figure la plus proche du peuple “d'en bas”. Dans la dernière version du spectacle, c'est la figure du migrant qui se rapproche le mieux de Scapin. Ahmed se veut l'écho du migrant, car comme chez les grecs de l'antiquité, les gens d'en bas ont la capacité de remettre en question le pouvoir. Or toute société a besoin d'accepter la critique. Ce qui fait d'ailleurs que le spectacle est très inconfortable pour certains.

LA QUESTION RELOU

Combien de fois avez-vous incarné le rôle d'Ahmed ?

Oh... ( Rires) La première version, Ahmed le subtil,  a été crée en 1994, puis déclinée, sachant qu'on avait parfois 4 représentations par jour, je dirais... presque 500 fois...

LA QUESTION CON

Comment fait-on pour éviter de lasser ou de se lasser quand on revient pendant trente ans avec le même personnage?

D'abord, il s'agit d'un retour avec un texte inédit, en prise avec le monde contemporain. Nous avons cherché à faire résonner la figure du migrant. Par ailleurs, si le thème évolue, le costume aussi. Avant, je jouais avec une grande cape. Aujourd'hui, le costume est réactualisé. Ahmed pourrait être un rocker...

LA QUESTION INUTILE

Y a-t-il une part d'improvisation dans ce spectacle ?

Oui, bien sûr, parce que c'est comme ça qu'il a été conçu. Je m'amuse à improviser quand il s'agit de jouer avec les sonorités, la danse, parce que je n'imagine pas cela autrement. En revanche, je ne touche pas au texte d'Alain Badiou, bien évidemment.

LA QUESTION PARANO

Le masque d'Ahmed a un côté un peu effrayant. Pourquoi ?

(Rires) Il y a des gens que le masque effraie. Un être humain qui cache son vrai visage... Cela ramène à l'histoire de l'acteur en Occident. La religion a condamné les acteurs dans les siècles passés pour avoir mis, par le biais du masque, un faux visage sur celui que Dieu nous a donné. Acte diabolique de leur point de vue. En ce qui me concerne, j'avais demandé à Erhard Stiefel, le créateur de mon masque, de faire en sorte que celui que je porte puisse être oublié en tant que masque. Mais concernant le côté inquiétant, il a un troisième œil. Comme Shiva. Qui n'est pas un rigolo... Oui, il y a du Shiva dans Ahmed.

LA QUESTION JE SAIS PAS RÉPONDRE

Ahmed est-il plus Scapin, Figaro ou Arlequin?

Ah... Il est vraiment Scapin ça c'est sûr. Il n'est pas Arlequin. Dans les archétypes du valet, Arlequin est un second valet, plutôt bébête. Ahmed est un premier valet. Oui il pourrait être un Figaro... parce que Figaro est séditieux. Mais il me semble qu'Ahmed est plus violent que Figaro

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LA QUESTION ÉMOTION

Une anecdote sur votre relation avec Alain Badiou ?

Pour de multiples raisons, en 1998, j'ai un peu perdu le contact avec lui. Et voilà qu'un jour, je marche dans Paris, prés du métro Saint-Ambroise. Et  je tombe littéralement sur lui et du même fait dans ses bras... Le destin a fait qu'on a été catapultés l'un contre l'autre. Comme il est très grand et moi beaucoup moins, je me retrouve contre sa poitrine. Alors il me dit : “Écoute, tu sais, depuis qu'on ne s'est plus vus, beaucoup de gens ont joué Ahmed. Mais je pense que le vrai Ahmed, c'est toi”. Il avait comme à son habitude trouvé les mots justes pour me toucher.

LA QUESTION INCOMPRÉHENSIBLE

Avant, le valet libérait la parole dans une société soumise à la censure. Mais dans notre société moderne de la parole décomplexée, comment votre personnage arrive-t-il à trouver sa place ?

Il trouve sa place justement en s'amusant, en embrouillant le spectateur. Lorsqu'on vient écouter ce spectacle, il faut se laisser porter par la musique poétique de la logorrhée d'Ahmed. Il ne faut pas chercher à rationaliser à tout prix, à chercher un message, même si évidemment Ahmed prend position contre le racisme, ce qui est un message.

LA QUESTION INTELLO

Oui mais pour Badiou comme pour Brecht, le théâtre doit simplifier un monde qui a le défaut d'être illisible. Il doit enseigner une vision. Alors, Ahmed clarifie-t-il le monde ou l'embrouille-t-il et pourquoi  ?

Le chemin dramaturgique passe par des embrouilles. Mais il finit par délivrer la définition de la philosophie, du moins telle que la conçoit Alain Badiou, à savoir que chacun porte en soi la ressource de penser pour lui-même. Par ailleurs, Ahmed ne cherche pas à tout comprendre, déjà parce que c'est impossible, ensuite parce qu'il s'agit plutôt d'être dans l'instant présent, pour recevoir pleinement la pièce, et pas uniquement sur le plan rationnel. Ahmed est aussi poétique qu'ironique.

LA QUESTION BONGOU

Ce serait quoi pour Ahmed, le bon goût ?

Ah... (rires) Un couscous bien épicé !

Entretien réalisé par Zerbinette grâce à la patience et à la gentillesse de Didier Galas, metteur en scène et acteur de la pièce

Ahmed revient, au CDNOI, le jeudi 23 et vendredi 24 juin.

Crédit photo Christophe Raynaud de Lage