INcyclopédire. Verbe qui manque du troisième groupe. Desproger à l'envers en fin de soirée.
Incontinenter : verbe qui manque du premier groupe. Faire d'une île un continent en se lâchant.
Avant 1946 et une départementalisation qui accoucha d'un grand rétrécissement géopolitique, La Réunion fut ainsi un grand continent que Jules Hermann avait su décrypter en son temps en scrutant la falaise de La Montagne depuis une fumerie d'opium. Un continent qu'Emmanuel Kamboo révèle au grand jour dans une expo INcyclopédique ponctuellement théâtralisée à grand renfort de patriotisme insulaire par Sergio Grondin, alias Charles Panon de Cimendef, secrétaire perpétuel de l'institut INcyclopédique universel.
Dans une île colonisée tardivement, dépourvue – a priori – de peuples premiers, orpheline de grands mythes (même Granmèr Kall – non mais allo win – a abdiqué depuis longtemps devant l'impérialisme américain), entièrement soumise au marchands du Temple de la grande distribution, il était temps d'apporter quelques éléments tangibles sur le glorieux passé d'un territoire qui mérite bien ça.
1946, la départementalisation ? Non, francisation qui a enseveli sous des tonnes d'assimilation un passé glorieux qui faisait de La Réunion ni plus ni moins que le centre du monde. Les acharnés du Cri du Margouillat l'avaient bien deviné en éponymant leurs éditions. Aussi vrai que le promeneur apprécie de divaguer d'un microclimat à l'autre, La Réunion offre sur un territoire pourtant étroit autant d'ambiances qu'il est possible d'en rêver même à l'heure où on circumvole d'un pays à l'autre moyennant des billets tour du monde.
Si on pousse le bouchon un peu plus loin, si l'on a l'esprit voyageur et l'âme fantaisiste, que l'on connaît l'île comme sa poche mais qu'on a envie d'en faire un costume trois pièces, bref, si on a l'esprit frondeur et taquin, les frontières deviennent poreuses, les ports bousculent la géographie, les effets de loupe deviennent légion, les légions se font pays, les colonies Etat, et l'imaginaire maître d'un monde à inventer. L'INcyclopédie du continent réunionnais, loin d'un fake atlas alternatif, rappelle finalement ce qu'est notre bon caillou. Un possible qui ne demande qu'à être ensemencé. Ré-enchanté pour qu'enfin on puisse reprendre en chœur ce mot d'ordre : « make Reunion great again ».
En empruntant au passé une iconographie colonialiste dont il rappelle la grandeur, mais surtout la beauté de ses victimes assimilées, Kamboo en fait les maîtres d'un continent où les Européens peuvent être esclaves, où l'on sait réaliser des chapkas en fourrure de tangue, où Yab se traduit par « Young and beautiful », où l'on se souvient, au contact des anciens, des ravages fumeux de la guerre du zamal cannabique, où le lagon de Saint-Gilles domine de sa splendeur la grande barrière australienne, où le rhinocéros de Grand-Coude croise parfois les pêcheurs de perle du Tremblet, quand ils ne cavalent pas à dos de dromadaire dans la plaine des Sables... A l'heure où la communauté scientifique vient de découvrir Zélandia, un septième continent englouti, on adhère encore plus volontiers à cette grandeur déchue qui caresse dans le sens du poil la fibre nationaliste des esprits insulaires.
Hymne à la géo-poésie, à la fantaisie toponymique, à la biodiversité politique, L'INcyclopédie n'est pas qu'un jeu de l'esprit né en fin de soirée après avoir abusé de jus de goyavier fermenté. C'est une ode à une île imaginaire qui affleure finalement de notre réalité concrète. Une pirouette impertinente qui ne manque pas de souffle.
Sur les pas de Jules Hermann – qui s'y connaissait en affleurement – et de sa Lémurie uchronique, Kamboo, en bon accompagnateur de voyage, remet notre île, sourire aux lèvres, au centre de tous les possibles passés et à venir.
Vince Paillonne