Je ne vais pas te mentir brave lecteur : j'abhorre les romans de jeunesse. Avis bâti de toutes pièces sur de solides préjugés. C'est fade, mièvre, moralisateur, truffé de verbes d'action et mortellement soporifique. Bref, j'ai commencé le bouquin de Lalou.
Du jeu au je
Les deux premières pages échappaient aux clichés sus mentionnés. Les suivantes m'ont intriguée, l'écriture m'a happée, et finalement, mon scepticisme s'est dilué. Récit d'une conver(sa)sion.
« Tout a commencé par un jeu avec un ami. Alors que je lui demande son adresse postale, il me met au défi d'inventer une histoire à partir des éléments qui la composent ».
Dans la dite adresse, les mots « souris » et « albatros ».
Il n'en faut pas plus à Lalou, jeune réunionnaise originaire de la Plaine des Cafres, pour se lancer. À ce stade pourtant, elle n'imagine nullement être publiée : « J'ai toujours écrit. J'adore les jeux. J'ai donc entamé cette histoire par esprit de défi. Mais après la page 100, l'histoire m'a rattrapée. J'ai commencé à y passer des nuits. À en pleurer. Pour moi, faire avancer ce récit était devenu vital. »
Un roman profond sans être pesant
Cette aventure intérieure, aux allures d'épopée, aboutit au terme de huit mois d'écriture, à un roman profond, sans être pesant.
« Où le vent te mène » raconte une quête existentielle. Dans une contrée austère et imaginaire du nord, cohabitent la tribu primitive des Poilus et celle des Plumeux. Hommes et oiseaux s'entre-aident pour survivre. Le jeune Sol, poilu qui a du mal à s'identifier aux siens, s'amourache d'un albatros mal fichu, qui se croit incapable de voler. Il le nomme Diomède. Un duo nait, de leur incomplétude.
D'une part cet oiseau infirme, de l'autre ce gosse fébrile mais cuirassé d'enthousiasme. À eux, le monde.
Sans fausse pudeur, l'auteur avoue avoir elle-même connu l'errance :
« J'ai un parcours atypique. Je n'ai jamais collé à mon milieu, je suis partie jeune. Je ne rentrais pas dans le moule. Je me suis posé la question : est-ce que je continue, comme les cadavres qui m'entourent, ou est-ce que je me donne une chance ? »
Pour Sol et Diomède, le voyage est rude et les épreuves multiples. Mais la plume de Lalou se garde de tout cliché. Avec grâce et mystère, elle fait la part belle à l'imagination. Au fil des pages, les descriptions, sibyllines, jamais n'enferment le sens. « j'ai mis des énigmes et des jeux dans le récit. Pour ceux qui veulent aller plus loin. »
Maniant l'intertextualité sans verser dans l'étalage de références littéraires, elle compose une histoire érudite, insolite, et atemporelle.
La morale à la baille
Mais l'intérêt majeur de ce roman est ailleurs. Si on y retrouve les mascottes du développement personnel, puisqu'il y est question du courage d'être soi, d'anticonformisme et de liberté, l'ouvrage échappe au jugement, au manichéisme et à toute volonté moralisatrice.
Ce qui n'est pas rien.
Aucune scène de confrontation. Pas de glorification du héros. Pas de tartes à la crème sur le vivre ensemble. Les poilus, pas plus que Sol ni Diomède ne détiennent la vérité sur le bonheur. Chacun trouve le sien, sans mépriser celui de l'autre. Il apparait comme une entité à géométrie variable : « Je n'ai pas envie de faire un manuel du comment vivre, de donner un mode d'emploi. » explique Lalou.
Sage décision, si l'on se rappelle, à l'instar de Baudelaire, que de toutes façons, « C'est par le malentendu universel que tout le monde s'accorde. »
Lalou, Où le vent te mène, Zebulo éditions, novembre 2017, 13 euros.