COMÉDIE BALAI

Crédit Photo: Marion Poussier

Crédit Photo: Marion Poussier

Qui se serait douté que la dernière création théâtrale de Mohamed El Khatib avait pour point de départ un désaccord syntaxique entre lui et une femme de ménage ? « Désolé – s'excuse El Khatib auprès d'elle – nous avons sali avec mes stagiaires et nous n'avons pas eu le temps de serpiller. » Corinne Dadat éclate de rire.« Tu te prends pour un auteur toi. « serpiller », ça n'existe pas. On dit passer la serpillère » Le temps de passer l'éponge, et le spectacle « Moi, Corinne Dadat » était né. Entretien avec El Khatib, le metteur en scène qui avait les acteurs, les petits bourgeois et le théâtre politique en horreur. 

Alors Mohamed El Khatib, depuis votre première rencontre avec Corinne Dadat, est-ce que vous avez appris à conjuguer le verbe « Serpiller »

Silence au bout de la ligne. Euh . . . Non non. Je pensais vraiment que le verbe existait. 

Dites-moi, comment transforme-t-on une femme de ménage en actrice ? 

Ce n'est pas le but. On ne la transforme pas déjà. On essaie qu'elle soit elle-même. Je me méfie des acteurs, qui passent leur temps à se cacher, à se planquer. Avec Corinne, on a une nature de présence singulière. Elle ne s'embarrasse pas des conventions mondaines. 

Et les soubrettes de Molière, elles ne vous intéressent pas ? 

Ben . . . non. parce que les soubrettes chez Molière sont souvent humiliées.

Bon d'accord, mais si vous faites jouer des vrais pauvres, que vont devenir les acteurs ? 

D'abord les vrais acteurs souffrent de la même précarité. Ensuite, alimenter le circuit traditionnel du théâtre ne m'intéresse pas. Les problèmes petits bourgeois ne m'intéressent pas. Je l'observe souvent, les salles sont constituées par les bourgeois. Le théâtre s'est coupé des classes populaires. Il faut une diversité sur le plateau. En Métropole, il n'y a pas d'acteurs noirs par exemple. 

Si. Dans Illiade par exemple de Pauline Bayle. Et à La Réunion. 

Oui. Mais c'est encore une minorité. Avec Corinne Dadat, on a amené des gens qui ne viennent pas au théâtre. Pas encore assez. 

Alors est-ce qu'on peut dire que vous êtes le nouveau dramaturge naturaliste du XXI ème siècle ?

Qu'est-ce que c'est que cette question ? 

Vous donnez la parole au peuple, vous faites monter sur le plateau des supporters de foot, des femmes de ménage, vous voulez montrer la réalité telle qu'elle est. . . 

Si vous voulez oui. Si ça vous fait plaisir. 

Décrivez-moi votre spectacle. 

Corinne, une danseuse et moi-même sommes sur le plateau. Le spectacle propose deux portraits de femmes qui ont ce point commun de travailler avec leur corps. Il y a à la fois du texte écrit, fruit de plusieurs années d'entretiens avec Corinne, et une part d'improvisation. Un jeu de questions / réponses entre nous deux. 

Crédit photo  : Virginie Meigne

Crédit photo : Virginie Meigne

Qu'est-ce qui a été difficile dans cette mise en scène ? 

Le fait de ne pas chercher à travailler comme avec des acteurs justement. Il fallait se mettre au service de Corinne.  

Qu'est-ce qui vous a ravi dans cette nouvelle création ? 

La liberté de Corinne. La liberté qu'elle prend.

Vous avez dit : « Il y a longtemps que le théâtre n'est plus politique ». Vous savez que vous allez faire hurler de nombreux auteurs réunionnais ?

Les gens qui disent faire du théâtre politique se bercent d'illusions. Qui va au théâtre ? deux pour cent de la population. C'est un endroit petit bourgeois totalement complaisant. Quand on fait du théâtre, on peut transformer les choses à toute petite échelle. Oui. Mais c'est avant tout un acte individuel tourné vers soi. L'engagement ne peut être que ça. C'est un acte marginal à petite échelle. Quand on veut faire bouger les choses, faire un acte politique, on bloque une préfecture. Et encore, quand bien même vous arriveriez à faire un acte théâtral radical vous seriez récupéré, instrumentalisé, dévitalisé. Ce serait du théâtre subversif et . . . 

À ce moment précis, coupure irréversible de la communication, Big Brother sans doute sur nos talons. C'est dommage. J'aurais aimé poser à Mohamed la question de l'intimité. Lui demander comment on met en scène une femme de ménage sans l'instrumentaliser. S'il estime avoir échappé au voyeurisme. Si Corinne allait encore jouer. Interrogations à soumettre en bord de scène après les représentations des jeudis 21 et vendredi 22 février au CDNOI. Fais-toi plaisir, merci.

https://www.cdoi.re/programmation/spectacle/moi-corinne-dadat/

 

Propos recueillis par Zerbinette, avec la précieuse collaboration de Mohamed El Khatib.